
Emmanuel Macron l’a décidé presque seul : l’audiovisuel public sera privé dès cette année des 3,2 milliards d’euros que lui rapporte cette ressource prélevée depuis 1948. Au nom du « pouvoir d’achat », le gouvernement s’apprête à faire peser de lourdes menaces sur les médias publics. (...)
Pendant quelques heures, plus de son, plus d’image. Mardi 28 juin, la plupart des émissions et des journaux d’information des radios et des télés publiques se sont tus. Une manière pour les journalistes et les technicien·nes de ces médias d’exprimer leurs vives inquiétudes pour l’avenir de Radio France, de France Télévisions, de RFI et France 24, d’Arte ou de l’Institut national de l’audiovisuel (INA, notamment chargé des archives de l’audiovisuel public). (...)
Par la grève, massivement suivie, et par une manifestation parisienne se terminant devant l’Assemblée nationale le jour où les nouveaux parlementaires siégeaient pour la première fois, le personnel de l’audiovisuel public a dit tout le mal qu’il pensait de la suppression brutale de la « redevance télé » (officiellement nommée Contribution pour l’audiovisuel public). Et tenté de mettre en débat une décision cruciale pour l’avenir d’un important canal d’information, qui n’a pourtant jusqu’à présent fait l’objet d’aucune discussion publique.
La manifestation de ce mardi aura peut-être permis de faire changer les choses : à l’issue du défilé, une partie de ses participant·es ont engagé la conversation avec des parlementaires de gauche, comme en témoigne notre reportage.
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La suppression de cette taxe créée en 1948 sera actée dans le projet de loi de finances rectificative, présenté au Parlement dans la première quinzaine de juillet. (...)
Aujourd’hui, l’émoi est immense parmi les salarié·es des médias publics. Il devrait être partagé par tous les citoyens et citoyennes un tant soit peu soucieux de la qualité du travail médiatique.
« Nous défendons un service public de l’audiovisuel fort », clament les syndicats à l’unisson (un communiqué commun a été signé par la CGT, la CFDT, FO, le SNJ, Sud, l’Unsa, la CFE-CGC et la CFTC). Ils réclament « un financement adéquat (à la hauteur des enjeux actuels), dynamique et progressif (pour lui permettre de faire face aux défis de demain) », mais aussi « pérenne avec une ressource affectée, seule à même de lui permettre de remplir ses missions de service public : informer, éduquer et distraire au service de toutes et tous les citoyen·nes ».
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Les salarié·es de France Télévisions ou de Radio France ont de quoi être en colère. La suppression pure et simple de la redevance est une idée que l’exécutif et La République en marche n’avaient pas mise en avant jusqu’à l’annonce soudaine du président-candidat. C’est même une surprise. (...)
Regarder autour de nous permet par ailleurs de comprendre que la redevance à la française coûtait moins cher que celle de bien des pays voisins : 173 euros au Royaume-Uni, où la question occasionne un bras de fer permanent entre le gouvernement et la BBC (lire notre article), 180 euros au Danemark et 300 euros en Autriche. En Allemagne, c’est 210 euros par an, et c’est une commission indépendante qui évalue les moyens nécessaires au fonctionnement de l’audiovisuel public.
À l’automne 2021, l’exécutif avait commandé un (énième) rapport à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des affaires culturelles sur le sujet. Emmanuel Macron n’a pas pris la peine d’attendre leurs conclusions et a balayé d’un revers de main toutes ces réflexions. Sa proposition est simple, et dangereuse : incorporer le budget des médias publics au budget général de l’État.
Menace économique, menace sur l’indépendance
(...) même si le niveau de financement actuel est maintenu, il est possible, voire probable, que sa revalorisation au fil des ans ne soit plus franchement au cœur des préoccupations. Par exemple, si la France essuie une crise économique dans les prochaines années.
D’ailleurs, l’argument du gouvernement sur la « protection » du pouvoir d’achat ne peut se comprendre que s’il prévoit de réduire le montant de 3,2 milliards dédiés à l’audiovisuel public. Car si cette somme ne baisse pas, peu importe qu’elle soit financée par une taxe dédiée ou en puisant dans le budget de l’État, d’une manière ou d’une autre, les Français·es paieront toujours autant…
(...) En 2008, Nicolas Sarkozy a supprimé la publicité en soirée sur France 2 et France 3, en promettant de compenser la perte « à l’euro prêt ». Il n’en a rien été.
Plus près de nous, durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, les moyens de l’audiovisuel public ont déjà été réduits de 190 millions d’euros, poussant France Télévisions à prévoir la suppression de mille postes entre 2019 et 2022, et Radio France à faire de même pour trois cents postes.
Le risque évident lié à cette dépendance économique est, comme le pointent certains opposants à la réforme, de faire de l’audiovisuel public l’équivalent à peine déguisé d’une administration. Soumise à la volonté d’un décideur politique, non seulement financièrement mais aussi politiquement.
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Sans financement autonome et pérenne, les médias publics perdront fatalement de leur indépendance, voire leur indépendance tout court. (...)
depuis le début de son premier quinquennat, les relations entre Emmanuel Macron et l’audiovisuel public, et même entre les journalistes en général et lui, ne sont pas des plus sereines. Dès décembre 2017, il avait qualifié France Télévisions de « honte » lors d’une réunion à l’Élysée – la présidence avait démenti.
En juillet 2018, alors que les révélations se multipliaient sur l’affaire Benalla, il avait ensuite fustigé « une presse qui ne cherche plus la vérité » et qui débiterait des « fadaises ». Et moins d’un an plus tard, Mediapart avait égrené les nombreuses fakes news (infox) proférées par le chef de l’État et ses proches, au détriment de la réalité régulièrement décrite par les médias.
Enfin, jusqu’à la fin de la récente campagne présidentielle, France Télévisions a pu constater que le président était bien peu pressé de venir parler devant ses caméras, en premier lieu celles du JT de France 2.
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Le spectre de la fusion
La dernière menace, qui était dans tous les esprits lors de la manifestation du 28 juin, est celle d’une fusion des deux grands groupes du service public. Radio France et France Télévisions seraient regroupées pour redonner vie à l’ORTF, cette entité unique dissoute en 1974.
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Les syndicats des deux entités sont en tout cas fortement hostiles à la fusion, qui risquerait d’entraîner des économies sur la taille des rédactions et pourrait, on l’imagine sans mal, altérer la diversité, si ce n’est la qualité, de la production éditoriale des médias publics.
La fin de la redevance est l’un des premiers dossiers qu’Emmanuel Macron met en avant pour son second mandat, et déjà les oppositions sont nombreuses, et diverses. On est loin, bien loin, des proclamations du candidat en campagne. Le 17 mars, il s’était livré à un vibrant plaidoyer en faveur de « l’information libre et indépendante », qui avec la fiction et la création « forgent les esprits dans les sociétés démocratiques ».