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Entre les lignes, entre les mots
La pornographie investit dans la déshumanisation cruelle des femmes
Samantha Grey est travailleuse sociale dans une association de terrain contre les violences faites aux femmes à Vancouver, B.C, Canada
Article mis en ligne le 14 août 2019
dernière modification le 13 août 2019

J’ai été suffisamment choyée pour rencontrer plusieurs hommes « bons » dans ma vie : amis, famille, amants, collègues d’études, alliés pro-féministes. Pourtant, peu importe combien « bons » vous êtes et quelles sont vos habitudes de consommation pornographique (pour lesquelles je vous prie de m’épargner les détails), j’espère quand même que vous lirez cette lettre.

Vous avez probablement remarqué que je m’oppose vivement à l’industrie de la pornographie. Peut-être en avons-nous discuté ensemble, peut-être avons-nous évité le sujet complètement. Bien qu’il ne soit pas facile pour moi de parler de pornographie avec des hommes – particulièrement avec ceux que j’aime – je vais tout de même essayer.

La plupart de mes arguments contre la pornographie sont reliés aux impacts négatifs de celle-ci dans la vie des femmes. Ces effets vont beaucoup plus loin qu’un simple malaise devant des images pornographiques. La pornographie façonne la violence que nous vivons comme femmes dans les mains des hommes. En tant que militante contre les violences faites aux femmes, je sais que la pornographie est utilisée par les hommes pour nous attaquer. Des femmes m’ont raconté des cas d’hommes se servant de la pornographie pour préparer des jeunes filles aux actes qu’ils leur imposaient, des hommes qui contraignent leur copine/épouse à performer des actes qu’ils ont vu dans des films porno, des hommes qui utilisent la pornographie pour harceler sexuellement leurs collègues de travail, ainsi que des hommes qui demandent aux prostituées des actes de scènes vues dans la pornographie. Mais je vais laisser ces arguments de côté pour le moment pour m’attarder aux effets négatifs qu’a la pornographie sur vous les hommes.

Vous avez peut-être remarqué que la pornographie a eu un impact négatif sur vous, peut-être aussi que ceci n’a jamais traversé votre esprit. Je suppose qu’une des raisons pour lesquelles vous n’avez jamais pensé à la pornographie de façon critique est qu’admettre l’existence inhérente de la misogynie, du racisme et de l’homophobie à l’intérieure de celle-ci risquerait (je le souhaite) d’interférer avec vos orgasmes. Toutefois, que vous choisissiez ou non de reconnaitre les dommages négatifs qu’elle crée au niveau social et culturel, la réalité est que la pornographie diminue votre sexualité, se moque de votre masculinité et fait du tort aux femmes que vous aimez. (...)

Ceci a peut-être commencé par de la « porno soft » en tant qu’adolescent. Par contre, pendant que votre esprit se désensibilisait à ces formes « douces » de pornographie, vous avez graduellement recherché des formes plus frontales, plus extrêmes et plus violentes.

La pornographie enlève aux gens l’opportunité de développer leurs propres préférences et comportements sexuels. Vous n’avez pas besoin de produire vos préférences, la pornographie fait le travail pour vous. Elle dicte ce que les femmes et les hommes sont supposés aimer sexuellement. Si les hommes regardent de la pornographie en grande quantité, ils en viendront à penser qu’ils aiment frapper une femme ou la forcer à faire des fellations, ou ils en viendront à accepter les divers stéréotypes sexualisés et racistes promus par celle-ci (que les femmes asiatiques sont soumises, par exemple).

La pornographie couvre les yeux des hommes, les convainquant que leurs orgasmes déjouent la misogynie, le racisme et la violence, qu’autrement ils ont souvent tendance à dénoncer.

Il ne fait aucun sens logique que des hommes décident de leur propre gré d’étouffer, de gifler ou de dégrader verbalement des femmes avec qui ils ont des relations sexuelles, à moins qu’ils aient été conditionnés à voir ceci comme étant excitant sexuellement et en soient venus à en retirer de la satisfaction. (Cette complaisance ne se limite pas à la violence montrée dans la pornographie, mais s’étend à la violence faite aux femmes en général – des études ayant trouvé un lien entre l’exposition à la pornographie et la disposition à accepter les mythes reliés au viol et aux agressions sexuelles.)

Les hommes ne sont pas les seuls à voir leur sexualité influencée de la sorte. La sexualité des femmes est également façonnée par les images et les messages transmis dans la pornographie.

De notre côté, en tant que femme, notre sexualité est présentée comme étant asservie aux désirs et demandes des hommes. (...)

il devient de plus en plus difficile de différencier entre ce que les femmes désirent réellement et ce que les femmes croient devoir aimer ou acceptent de faire, puisque la pornographie leur dit d’apprécier la douleur et la domination.

Le fait qu’un nombre croissant d’adolescentes s’engagent dans la sodomie avec leur copain – et souffrent en conséquence de fissures anales – en dit long sur le courant dominant de la pornographie. La sodomie est maintenant la norme dans la pornographie et, comme les garçons voient des hommes virils et sexuellement dominants participer à des séances de sodomie avec des femmes attirantes qui semblent s’y plaire, ils apprennent que non seulement ils devraient avoir eux droit de sodomiser, mais que les femmes devraient aimer cela.

Dans la pornographie, les hommes et leur organe sexuel définissent le plaisir. (...)

Malgré l’utilisation du corps des femmes, les actes qui se passent à l’écran sont toujours dirigés vers les hommes, avec le but du plaisir masculin et de l’éjaculation. Les hommes sont dépeints comme des êtres dominants et sans émotions (sauf si l’émotion est la colère ou la haine envers les femmes). 88% des scènes pornographiques montrent des agressions sexuelles et 70% du temps ces actes sont perpétrés par les hommes. L’affection, l’intimité et le respect ne font pas partie du répertoire des hommes dans la pornographie. (...)

Donc, voici la masculinité selon la pornographie : agressivité, égoïsme, impassibilité, cruauté. Est-ce le genre d’hommes que vous voulez être ? Est-ce que vos visions politiques s’alignent avec les messages misogynes, racistes et violents de la pornographie ? Croyez-vous aux valeurs promues par la pornographie ? Croyez-vous qu’il soit possible que ces images puissent être bénéfiques éthiquement de quelque façon que ce soit pour des personnes, vous y compris ?

Bien que mon intention ne soit pas que vous vous sentiez honteux de votre consommation pornographique, je souhaiterais néanmoins qu’elle cesse. Je veux que vous exprimiez votre sexualité dans toute son étendue sans l’interférence de la pornographie. (...)

Je veux savoir que, en tant qu’amis, membres de ma famille ou alliés politique, vous respectez mon humanité de femme et, par conséquent, l’humanité de toutes mes sœurs.

La pornographie ne croit pas davantage en votre humanité qu’à celle des femmes autour de vous. L’industrie de la pornographie souhaite être rentable et faire des profits sur ce qu’elle interprète comme étant votre faiblesse biologique. Elle s’investit à maintenir les hommes à l’intérieur de la vision limitée de la sexualité masculine qu’elle a définie. Elle est investie dans la déshumanisation cruelle des femmes et dans le développement de votre complicité à cet égard.

Vos habitudes de consommation pornographique ne sont pas inscrites dans votre biologie. Vous avez le choix et vous pouvez faire des choix différents, des choix qui ultimement seront bénéfiques non seulement pour vous et les femmes que vous aimez, mais pour nous toutes et tous collectivement.