
Monsieur le Président de la République,
Vous qui aimez les titres, ça va vous plaire, je suis Normalien et agrégé de philosophie.
J’ai exercé des fonctions en cabinet ministériel au moment où vous étiez secrétaire général adjoint de l’Elysée puis Ministre de l’Economie.
Je ne me sens pas plus bête qu’un autre ni moins cultivé. Et « en même temps », je soutiens les Gilets Jaunes—dont je me définirais, si j’étais prétentieux, un compagnon de route.
Leur cause est juste. Je savais, comme tout le monde, qu’il y avait un problème avec tous vos cadeaux fiscaux. J’ai découvert très récemment, dans Le Président des ultra-riches de Michel et Monique Pinçon-Charlot de quelle façon ahurissante, à coup de milliards, vous transfériez l’argent public vers les très grandes fortunes qui vous ont soutenu. Ça m’a choqué, comme disent les jeunes. Tout le monde devrait lire ce livre remarquable—à commencer par vous…
Je soutiens les Gilets Jaunes surtout parce qu’ils veulent mettre la démocratie en cohérence avec elle-même. Chez nous, le pouvoir n’appartient réellement qu’à vous seul. Un jour peut-être vous prendrez conscience du problème. Les samedis sanglants, les rapports d’Amnesty et les remontrances de l’ONU n’y suffisent pas—vous qui balayez d’un revers de main le référendum d’initiative citoyenne, pourtant le meilleur antidote contre la violence, à laquelle il substituerait le débat.
Moi aussi je m’estime cohérent en les soutenant contre tout ce qui peut diviser une Nation qui m’a permis de faire de belles études et d’avoir une carrière intéressante.
Donc j’en ai marre d’être régulièrement traité de débile par vous et vos porte-parole simplement parce que je suis du côté de la justice et de la cohérence. Rétablissez l’ISF, mettez en place le référendum d’initiative citoyenne et les samedis retrouveront leur tranquillité.
Mais si je vous écris aujourd’hui, c’est à cause d’une phrase que vous avez prononcée lors de votre rendez-vous avec des Intellectuels le 18 mars 2019 : « Je crois en des formes d’organisation du collectif. […] Je pense que les intellectuels ont cette responsabilité, car ils ont une autorité dans la société, qui est académique : ils savent plus de choses, et ils ont lu plus de livres »
Je trouve ça incroyable, à l’heure où des milliers de personnes qui n’ont pas cette autorité, se réunissent, organisent des discussions et des actions partout, sur les ronds-points ou dans le cadre de votre Grand Débat, d’appeler les « intellectuels » à organiser le collectif. (...)
Des livres, j’en ai lu plein. J’en ai même écrit. Pourtant je ne me sens supérieur à personne quand il s’agit de politique.
Car voilà bien le problème, Monsieur le Président de la République : vous ne savez pas ce qu’est la politique.