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Non-Fiction
La nouvelle gouvernementalité néolibérale
Face à un système néolibéral de plus en plus menaçant pour une démocratie véritable, cet ouvrage en appelle au réveil des initiatives de classes.
Article mis en ligne le 19 mai 2016

Il est évidemment possible de parler de ce nouveau livre de Pierre Dardot et Christian Laval sans faire allusion à leur travail antérieur, notamment à leur ouvrage Commun : Essai sur la révolution au XXI° siècle (La Découverte, 2014). Une perspective centrale gouverne pourtant les deux livres : la politique et l’économie ne relèvant pas de lois naturelles, il convient donc de lutter contre ces images si souvent répandues de mécanismes sociaux et politiques soi-disant « objectifs », c’est-à-dire compris comme indépendants de l’action humaine. À l’encontre de telles considérations, qui font les beaux jours de certains médias, les auteurs en appellent à une reprise de l’initiative dans la guerre des classes , afin d’imposer la démocratie.

Sauver d’urgence la démocratie menacée

Ce cauchemar qui n’en finit pas est particulièrement marqué par une urgence : celle d’intervenir dans le temps présent et à une échelle assez large. Pourquoi cette urgence ? Parce que nous vivons des accélérations décisives : des processus économiques, sécuritaires, de dégradation des relations entre gouvernés et gouvernants, etc. Mais ce n’est pas tout. En sus, existe une autre urgence à prendre en compte et à contrecarrer : l’accélération de la sortie de la démocratie. Qu’entendent par-là les auteurs ? Non seulement l’offensive oligarchique contre les droits sociaux et économiques s’amplifie ; mais les dispositifs sécuritaires mis en place par l’État brident les droits civiques et politiques. Et surtout, comme les auteurs le font d’emblée remarquer, il faut cesser de croire que ces deux facteurs sont indépendants l’un de l’autre. La sécurité est appelée par le déchaînement de la concurrence, de la compétition acharnée entre les acteurs sociaux. (...)

En un mot, la raison néolibérale qui régit nos existences insécurise et discipline la population simultanément. Et la démocratie s’en trouve désactivée.

L’ère de la radicalisation néo-libérale

La situation de notre époque est ainsi décrite : nous vivons une radicalisation néo-libérale sous une gouvernance oligarchique, sous un processus d’auto-aggravation de la crise qui entraîne la défaite des capacités de résistance et de combat, en particulier du salariat organisé. (...)

Ce néolibéralisme a pour caractéristique d’étendre et d’imposer la logique du Capital à toutes les relations sociales, jusqu’à en faire la forme même de nos vies. C’est un dispositif systémique appuyé sur une raison politique unique, tout s’y ordonne. Et surtout une chose, qui fait le fond de la démonstration des auteurs : la distribution de dominants isolés dans leur caisson sensoriel, qui rend impossible un partage d’expérience. (...)

e culte de l’argent est devenu le cœur de la démocratie. Voilà qui conduit à une reprise de cette dernière notion, reprise décisive car elle conditionne le sens que l’on peut prêter au titre de l’ouvrage. Pierre Dardot et Christian Laval font alors résonner un « sens originel » du terme démocratie : non pas la gestion pacifiée des conflits par le consensus, mais le pouvoir conquis par une partie de la cité dans une guerre contre l’ennemi oligarchique, ou pour l’exprimer autrement, un pouvoir exercé par la masse des pauvres . Évidemment, cette définition, « originaire » ou non, souligne qu’il faut cesser de parler de démocratie en termes de nombres, ou en termes de mode de régulation des rapports sociaux. De toute manière, compte tenu de la définition posée, nous ne vivons pas en démocratie – tout le prouve : de la situation de la Grèce (à laquelle les auteurs consacrent des pages) à la théorie du néolibéralisme (et de sa conception de la primauté des droits privés). Et nous la vivons d’autant moins que les auteurs veulent que les mouvements sociaux l’imposent.

Reconnaître la cohérence du système néolibéral

Il est un aspect du raisonnement des auteurs à relever, tant il renvoie à un enjeu de notre époque. Ils affirment qu’il faut « cesser de penser l’avènement du néolibéralisme d’une manière exclusivement négative ». En quoi ils ont raison, maisencore faut-il préciser le sens de la phrase. Il ne suffit pas de retenir que le néolibéralisme démantèle, rétrécit, ou amoindrit ceci ou cela. Il faut comprendre que le néolibéralisme présente un mode de pouvoir « positif et original ». Il a donné naissance à un nouveau système de pouvoir, qui remplit des fonctions de coordination entre espaces nationaux. Autrement dit, ce qui caractérise la politique néolibérale n’est pas le rétrécissement de la sphère politique, mais la permanence d’un interventionnisme gouvernemental producteur d’un ordre nouveau. En cela il devient inséparable de la mondialisation. Il présente des règles, des institutions, des normes qui permettent l’intensification des échanges, l’internationalisation de la production, et la libération des flux de capitaux. L’intérêt de ce remaniement de la perspective est de mieux faire paraître la signification et les ramifications de cet ensemble normatif, et surtout de mettre à mal les idées fréquentes de chaos ou d’anarchie généralisée. (...)

L’UE est devenue l’opérateur économique et juridique de cette construction. Ainsi déconstruisent-ils la politique de l’UE en la ramenant à un « Empire de droit », dans lequel le budget et la monnaie sont devenus des instruments de discipline. Et c’est cet Empire, pour revenir un instant sur le cas de la Grèce, qui fait fonctionner le nœud coulant de la dette. (...)

Ils proposent d’appeler « bloc oligarchique néolibéral » la coalition de groupes élitaires qui ont des intérêts spécifiques à faire valoir et dominent des sphères sociales. Ces oligarques se répartissent en quatre composantes : la caste bureaucratique et gouvernementale, les acteurs financiers, les grands médias d’opinion et de divertissement, les institutions universitaires et éditoriales. Ces composantes exercent toutes une fonction politique.

Une interrogation demeure : comment en sortir ? La conclusion vient répondre à cette question, en présentant la démocratie telle que redéfinie dans l’ouvrage comme « expérimentation du commun ». Si les premiers mots de la conclusion sont aussi sombres que la situation semble l’être, les auteurs permettent aux lecteurs de redresser la tête, in fine, en montrant comment l’expérience du commun pourrait prendre le pas sur l’expertocratie si prégnante.