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Revue Esprit
La grande exclusion
Christophe Robert est sociologue et militant associatif, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
Article mis en ligne le 5 septembre 2021

Premier poste de dépense des ménages, le logement représente un enjeu d’action publique majeur. Pourtant, les politiques se sont peu renouvelées en la matière ces dernières années. La prise en charge croissante de cette question par les intercommunalités ainsi que sa rencontre avec les enjeux écologiques sont des voies à approfondir.

La crise sanitaire a donné à voir à l’ensemble de la société l’étendue des manifestations du mal-logement dans notre pays, que les associations, les observateurs du sujet ou les maires connaissent bien. Régulièrement, une partie de ces difficultés émerge aux yeux de tous, que l’on se réfère aux personnes contraintes de vivre à la rue (et qui sont très visibles dans l’espace public) ou à la tragédie des immeubles effondrés à Marseille, qui a occasionné la mort de huit personnes et révélé la situation de milliers de ménages pauvres et modestes vivant dans des logements indignes loués très cher. Mais la crise sanitaire et les confinements successifs ont contribué à élargir le regard sur l’importance du logement parce qu’ils ont touché une large part de la population, même s’ils l’ont fait à des degrés différents.

Je pense en premier lieu à ceux qui n’ont (eu) aucun lieu où « rester chez eux » (les personnes sans abri, sans domicile), malgré le mot d’ordre national « restez chez vous ». Des personnes à qui, d’ailleurs, la puissance publique a cherché à apporter des réponses, avec l’ouverture de 43 000 places d’hébergement d’urgence, via la mobilisation d’hôtels restés vides du fait de l’absence de touristes.

C’est le cas aussi de ceux qui ont certes un logement, mais inadapté, de mauvaise qualité, parfois dangereux pour la santé et dans lequel il a bien fallu rester en période de confinement contraint. (...)

« Quand on est malade, on reste à la maison. Mais si c’est la maison qui rend malade  ? »

On peut également évoquer le phénomène de l’hébergement chez des tiers, cet important amortisseur de crise, qui a été rendu particulièrement difficile pendant cette période. (...)

Notons enfin qu’une partie des classes moyennes, notamment dans les grandes villes où les loyers sont chers, qui se « serrent » dans un petit logement pour maintenir la proximité avec leur lieu de travail ou rester dans la ville, ont pu, avec le télétravail contraint, rencontrer des difficultés  : promiscuité, tensions familiales, absence d’espace isolé pour travailler et étudier…

Le second enseignement de cette période, c’est qu’avec un minimum social, par exemple le revenu de solidarité active (RSA) à 500 euros par mois pour une personne seule, il est très difficile de vivre dignement et souvent nécessaire de se tourner vers des aides complémentaires… Nous avons pu mesurer à quel point une partie de la population est tributaire de la distribution d’aide alimentaire, au moment où des maraudes, des épiceries sociales et des lieux de distribution de biens de première nécessité ont fermé ou réduit leur voilure lors du premier confinement, en raison d’équipes bénévoles ou salariées contraintes de rester chez elles pour se protéger.

Dans des quartiers populaires, la fermeture des cantines scolaires, qui permettent des repas équilibrés à faible coût, a pu mettre en exergue la fragilité des budgets de familles pour lesquelles chaque euro compte. (...)

La séquence inédite que nous venons de vivre a ainsi créé un effet de loupe sur les difficultés de logement que rencontrent une partie de nos concitoyens, mais aussi la fragilité financière de millions de personnes. Ces difficultés étaient pour la plupart déjà présentes, mais elles sont apparues aux yeux de tous et, pour beaucoup, les conséquences ont été exacerbées. (...)

Pour conclure sur cette séquence liée à la pandémie, nous avons pu constater une plus grande efficacité de l’action publique dans de nombreux territoires au plus fort de la crise, avec un processus de décision qui a gagné en agilité  : les différentes parties ont davantage travaillé dans le même sens pour répondre au plus vite aux urgences  ; les décisions ministérielles se sont accélérées, en réduisant le poids de Bercy dans les arbitrages budgétaires  ; les articulations entre l’État, les collectivités locales et les associations ont été plus fluides  ; des citoyens se sont spontanément mobilisés pour apporter leur soutien  ; la question sociale a davantage occupé la place qui devrait être la sienne au quotidien… Mais cela ne signifie pas que la lutte contre les exclusions soit vouée à une évolution profonde et durable, à l’issue de ce qui pourrait n’être qu’une parenthèse. Le risque de retour aux bonnes vieilles habitudes est évidemment fort, notamment parce que les structures de l’intervention publique et les schémas de pensée demeurent bien ancrés. (...)

La massification du recours à ces réponses d’urgence montre bien qu’il y a un problème structurel d’accès au logement durable et un manque de politiques de prévention. (...)

Les migrants ne constituent-ils pas un nouveau public du mal-logement  ?

En 2013, l’enquête Insee a montré qu’il y avait une forte représentation des personnes exilées parmi les sans-domicile. On ne dispose pas des chiffres qui permettraient de mesurer l’évolution depuis. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont visibles qu’ils sont plus nombreux  : la visibilité, notamment celle des campements dans les grandes villes, témoigne avant tout d’une inacceptable et indigne absence de réponses publiques à des besoins de première nécessité, mais peut aussi renvoyer à une sorte d’inertie coupable, plus ou moins choisie, qui conduit à accentuer les tensions, notamment identitaires.

Là aussi, il faut rappeler que l’hébergement d’urgence est la dernière roue du carrosse  (...)

Des mesures de prévention ne seraient-elles pas moins coûteuses que les mesures d’urgence à long terme  ?

On peut effectivement se demander pourquoi on continue à développer des réponses d’urgence, qui sont nécessaires pour certaines situations (une personne victime de violences conjugales, une personne expulsée de son logement…), de manière aussi massive. Pourquoi le budget consacré à l’urgence augmente-t-il chaque année alors que, pour une partie des personnes en hôtels sociaux par exemple, le coût pour la collectivité est équivalent, voire supérieur à des solutions de logement durables et dignes avec un vrai statut de droit commun  ?

En réalité, obtenir des budgets pour faire face à des situations d’urgence est plus facile que d’obtenir des budgets structurels, qui répondent aux vrais besoins des citoyens les plus fragiles. (...)

Voyez-vous émerger des nouveaux paradigmes qui viennent renouveler l’action publique  ?

Je regrette plutôt que nous manquions cruellement de nouveaux paradigmes et de débats. La régulation des marchés immobiliers reste très faiblement discutée  ; la fiscalité du patrimoine (qui est composée pour les deux tiers d’immobilier) contribue à créer la société de rentiers décrite par Thomas Piketty3, creuse les inégalités et fait pourtant rarement l’objet de débats, alors qu’une fiscalité légèrement plus importante permettrait de lutter contre les inégalités et de dégager d’importantes capacités d’action publique dans le logement, la santé et l’éducation4. De même, l’aménagement du territoire est le grand oublié de la période récente  ; l’habitat et le logement sont rarement pris en compte dans la réflexion sur le « faire-société », la lutte contre la ségrégation territoriale, alors qu’ils constituent des leviers d’action puissants.

Une évolution pourrait toutefois permettre de faire avancer la question  : la prise en main croissante de compétences publiques liées à l’habitat, au logement et à la ville, à la bonne échelle territoriale, c’est-à-dire au niveau des métropoles et des intercommunalités. (...)

La nécessité de loger les personnes entre-t-elle en conflit avec le souci écologique  ?

La prise de conscience, notamment chez les jeunes, de la dimension vitale des enjeux écologiques est irréversible et, il faut l’espérer, conduira à transformer durablement la société. Mais il reste un important chantier autour de l’articulation entre transition écologique et justice sociale.

Les enjeux écologiques doivent nous conduire à décloisonner les secteurs et les approches. (...)

Comment porter la question du logement dans le débat public à l’occasion des présidentielles  ?

La Fondation Abbé Pierre invitera les candidats à venir parler de leurs projets pour la ville et le logement lors de la présentation publique de son rapport annuel sur l’État du mal-logement en France. Elle va aussi être active pendant cette période avec le Pacte du pouvoir de vivre qui regroupe soixante-cinq organisations syndicales, écologiques et de lutte contre l’exclusion qui se sont réunies en 2019 pour porter ensemble et simultanément les enjeux sociaux, écologiques et démocratiques.