
Photographe, Abdulmonam Eassa a largement contribué à la couverture photo, texte et vidéo de l’AFP dans l’enclave rebelle dans la Ghouta orientale, aux portes de Damas. Il y a vécu sous les bombardements de l’offensive lancée il y a cinq semaines par les forces du régime, avant de fuir leur avancée, et d’abandonner finalement sa ville natale d’Hammouriyé. Voici son récit.
Province d’Idleb (Syrie) — Ici, j’ai l’impression que je peux recommencer à vivre. Après m’être acheté des vêtements neufs, j’ai jeté ceux que je portais. Non pas parce qu’ils étaient usés ou sales, mais parce qu’ils étaient ceux de souvenirs terribles. Vraiment terribles.
Nous sommes maintenant à la fin mars, un peu plus d’un mois après le début d’une campagne impitoyable de bombardements sur ma ville natale, dans la Ghouta orientale, contrôlée par les rebelles depuis 2012.
J’ai dû la fuir, comme celles où je me suis abrité ensuite, au gré des frappes et de l’avancée des troupes du régime. Tout du long j’ai photographié tout ce que je pouvais.
7 Mars 2018
Cette nuit a été une des plus dures que j’ai jamais connues. J’ai quitté la maison dans un état d’épuisement mental et physique extrêmes. « Je vais juste faire un tour dans les faubourgs d’Hammouriyé », me suis-je dit. Le bombardement a commencé dix minutes plus tard.
Il est 14h00 et me voilà dans une ambulance vers l’endroit touché. Les avions font un nouveau passage. En tournant dans une rue nous tombons sur un homme et son fils. Ils brûlent, près de leur moto. C’est très dur à regarder. Je n’aurai jamais imaginé qu’une chose pareille puisse arriver à quelqu’un. J’aide les membres de la Défense civile à éteindre le feu et sortir les deux hommes.
Je passe les sept heures suivantes dans l’ambulance, sans pouvoir prendre une seule photo. Le pire est venu plus tard, en tombant sur le frère de l’un d’eux. Il était si triste. Je lui ai montré mes photos. (...)
Il n’y a plus rien debout ou presque. Les gens rassemblent leurs affaires pour fuir, mais dès qu’ils entendent le bruit des explosions ils abandonnent tout. Les tirs d’obus se rapprochent, et ceux des combats avec. La situation est désespérée. Rien ni personne n’est épargné par les avions du régime, ni les femmes ou les enfants, ni les mosquée ou les écoles.
J’ai finalement sorti ma famille de chez elle, par peur des bombardements. Je n’avais jamais imaginé devoir en arriver là. Mais les soldats avancent ; le sort des résidents est incertain ; la bataille fait rage. Je suis sur le balcon, et j’entends bien les combats qui approchent. Le fracas est assourdissant. Les frappes d’obus ne cessent pas. Nous n’avons presque rien emporté, quelques vêtements. C’est tout. (...)
Maintenant je suis seul dans la Ghouta orientale. Je n’ai plus personne. Mes parents ont pu fuir. Je ne sais pas ce qui va se passer. Je vivrai peut-être ou je mourrai peut-être. Peut-être que je vivrai pour raconter ce qui s’est passé ici, les crimes qu’on y a commis, parler des jours difficiles, et des beaux jours aussi. Peut-être que je vais rester ici, ou bien partir. Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que tout le monde est épuisé. Les civils sont épuisés. Il y a des gens qui refusent de partir, des habitants. Et aucune des grandes puissances n’a été capable d’empêcher quoi que ce soit. Après ça, les mots n’ont plus de sens. (...)