
Le juge administratif suprême s’est penché sur la demande de suspension en urgence du décret prononçant la dissolution du mouvement écologiste accusé par le gouvernement de provocation à des actes de sabotage. Il rendra sa décision avant la fin de la semaine.
Le Conseil d’État a examiné, mardi 8 août, les recours déposés en référé par plusieurs collectifs d’associations contre le décret du 21 juin 2023 prononçant la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre.
Au total quatre requêtes étaient présentées au juge administratif suprême, représentant plusieurs dizaines d’organisations de la société civile dont Greenpeace, Extinction Rebellion, Notre affaire à tous, Alternatiba, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale Solidaires, le Gisti ou encore Droit au logement.
L’audience s’est ouverte sur la question de l’urgence des requêtes, un des critères nécessaires pour que le juge des référés accepte de se pencher sur un recours. La représentante du ministère de l’intérieur, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques, Pascale Léglise, s’est appuyée sur le temps pris par les Soulèvements de la Terre pour saisir le juge de référé pour contester cette urgence. (...)
La procédure de dissolution a en effet été annoncée au mouvement dans un courrier envoyé le 3 avril 2023, soit quelques jours après les violents affrontements du 25 mars qui avaient marqué le rassemblement contre le projet de mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
Cette première semonce était cependant restée lettre morte, « au regard notamment de la faiblesse de son argumentation juridique et des éléments matériels avancés », suppute le recours déposé par les avocats des Soulèvements de la Terre. (...)
Mais, le 15 juin, les Soulèvements ont reçu une nouvelle lettre de griefs leur reprochant d’avoir, « nonobstant » le premier courrier, « persisté à appeler à des actions de contestation, qui se sont à nouveau traduites par des agissements violents ».
Comme le rappelle le recours des Soulèvements, cette relance de la procédure « plus de deux mois » après son annonce « apparaît avoir été relancée sous pression politique de la FNSEA ». Selon la presse, le principal syndicat d’agriculteurs aurait en effet exigé cette dissolution du gouvernement après une action, à laquelle les Soulèvements avaient participé le 11 juin, et durant laquelle des serres de maraîchers industriels avaient été abîmées.
La procédure avait été officialisée par le décret du 21 juin 2023 prononçant la dissolution des Soulèvements de la Terre, qualifié de « groupement de fait » en raison de son absence de structure officielle, pour avoir provoqué « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens », une sanction inscrite à l’article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure. (...)
contrairement à ce qu’affirme le ministère de l’intérieur, les Soulèvements ne sont ni une association ni même un groupement de fait.
« Les Soulèvements de la Terre n’ont pas de dirigeants, affirme ainsi leur recours. Ils relèvent au contraire d’une dynamique horizontale et organique. » « Pas plus que le mouvement social, le mouvement antiraciste ou le mouvement féministe, le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre, aussi massif et populaire qu’il soit, ne saurait être réduit à un groupement de fait susceptible d’être dissous », poursuit-il. « La question à laquelle devra répondre le Conseil d’État, c’est : peut-on réellement dissoudre un courant de pensée ? », a résumé, lors de l’audience Maître Ainoha Pascual (...)
Maître Claire Loiseau, avocate de l’anthropologue Philippe Descola, membre du mouvement, a de son côté souligné le risque que l’illégalité dans laquelle se trouvent désormais les citoyens se revendiquant des Soulèvements, soit plus de 150 000 personnes, ne serve de justification à une mise sous surveillance par les services de renseignement. « Il n’est pas garanti que des renseignements ne sont pas collectés sur les militants », a-t-elle pointé.
« Qu’il y ait dissolution ou non, les personnes qui se revendiquent tombent ipso facto dans le scope des services de renseignement », lui a répondu Pascale Léglise, à la surprise de nombreuses personnes dans la salle, avant de préciser : « Cela ne veut pas dire que toutes sont placées sous surveillance. »
Sur le fond des faits reprochés aux Soulèvements de la Terre, les arguments du ministère de l’intérieur se basent en grande partie sur un rapport des services de renseignement de 245 pages, non rendu public.
Celui-ci est cependant résumé dans les conclusions transmises par le ministère de l’intérieur au Conseil d’État. À l’opposé du mouvement horizontal décrit par les militants, les services affirment que les Soulèvement sont une « organisation hiérarchisée et disciplinée » avec « une organisation interne décisionnelle, qui lui permet de planifier une stratégie » et même une « organisation millimétrée » avec une « planification minutieuse » de ses opérations. (...)
Cette question des nuances entre « violences contre les biens », « sabotage » et simple « dégradation » a été un des points centraux des débats. Dans leur recours, les Soulèvements se réfèrent en effet au Code pénal qui définit les violences comme ayant des « conséquences sur la personne humaine ». « Par conséquent, et par définition, des “agissements violents” ne peuvent pas viser les biens, poursuit-il. En effet, les agissements qui visent les biens sont qualifiés par la loi de destructions, dégradations et détériorations volontaires. » (...)
Lors de l’audience, les avocats des requérants ont ainsi insisté sur l’absence de violence, lors des opérations ou des communications des Soulèvements, à l’égard de personnes et ont minimisé la portée des dégradations éventuellement commises contre de bien.
Le député Europe Écologie-Les Verts, agriculteur et membre des Soulèvements Benoît Biteau a ainsi souligné que, lors de la manifestation de Sainte-Soline, élément déclencheur de la procédure de dissolution, le chantier de la mégabassine n’avait même pas débuté. « Il n’y avait qu’un trou !, a-t-il lancé aux conseillers. Comment peut-on appeler à la dégradation, au sabotage d’un trou ? »
Et lorsque le décret évoque un appel à « l’ensablement » de machines de construction, Me Ainoha Pascual a rappelé lors de l’audience que « quand ils parlent d’ensablement, il s’agit de mettre simplement de mettre du sable dans une machine ».
L’accusation de provocation à des agissements violents a été un autre point central de l’audience (...)
La défense souligne également que le décret n’incrimine que six actions auxquelles les Soulèvements se sont joints et durant lesquelles des violences auraient été commises, sur un total de trente-trois. Lors de l’audience, Pascale Léglise a pourtant assuré que quinze actions violentes liées aux Soulèvements avaient été listées dans le rapport des services de renseignement.
« C’est la première fois que nous entendons parler de ce tableau de quinze faits », s’est indignée Maître Ainoha Pascual en reprochant au ministère de l’intérieur de ne pas les avoir intégrés au décret, ce qui entacherait celui-ci d’un défaut de motivation.
Après près de trois heures de débats, le président de l’audience a finalement annoncé que la décision sera rendue avant la fin de cette semaine.