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La diminution de la retraite des profs peut aussi faire baisser le niveau de l’école
Article mis en ligne le 5 décembre 2019

Dans le cadre de la réforme des retraites, une catégorie apparaît comme indubitablement perdante : les enseignant·es et les fonctionnaires de l’Éducation nationale.

Pour ces quelque un million de personnes, le montant de la retraite ne sera plus calculé sur les dernières années d’activité mais sur toute la carrière. Or, si on ne fait jamais fortune dans l’enseignement, c’est un métier dans lequel les salaires de départ sont particulièrement faibles.

Afin de compenser ce nouveau mode de calcul défavorable aux profs, les ministres évoquent la piste d’une revalorisation salariale, une mesure forcément très coûteuse.
« Perdant-perdant »

En avril 2017, Emmanuel Macron avait été le candidat plébiscité par le corps enseignant ; fin 2019, beaucoup de ses membres déchantent. C’est le cas de Sophie*, professeure des écoles : « J’ai retrouvé l’une des promesses de campagne de Macron pour l’éducation inscrite dans son programme : “Les enseignants, qui œuvrent au quotidien pour la réussite des élèves, doivent être assurés de la confiance placée en eux. Leur travail doit faire l’objet d’une plus grande reconnaissance de la nation, qui respecte leurs savoirs professionnels et investit dans leur développement” », récite-t-elle amèrement.

Aujourd’hui, Sophie se sent « profondément méprisée par ce gouvernement », « désabusée, inquiète et triste » ; selon elle, la réforme des retraites est « la goutte d’eau ».

« Nos salaires sont déjà en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, j’ai vraiment l’impression qu’on me vole ma retraite. » (...)

d’après les estimations des syndicats, la perte pour un·e retraité·e de l’Éducation nationale pourrait être de 300 à 900 euros par mois.

Compte tenu du nombre d’enseignant·es, et donc du coût du dispositif, Sophie ne croit pas à la solution avancée par le gouvernement (...)

« Nous faisons cela pour les élèves, pour leur avenir, pour les aider à se construire, pour l’intérêt public, pour que l’école publique garde son niveau, malgré tout ce qui est fait pour la détruire, pour la France et son futur, poursuit Hélène. Alors venir me dire maintenant que je vais perdre 800 euros par mois de retraite et que c’est normal... Il fallait le dire avant ! »

Le système « plus juste » défendu par le gouvernement l’est-il vraiment si les critères sur lesquels les individus ont choisi de s’engager changent en cours de route ? (...)

Pour Hélène, la seule explication possible est que le gouvernement cherche à effrayer le corps enseignant pour ensuite annoncer une perte moindre, mais malgré tout conséquente.
Baisse d’attractivité

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la question des retraites des personnels de l’Éducation nationale est un enjeu pour l’école dans son ensemble. L’actualité sociale croise en effet une autre donnée qui devrait retenir l’attention du grand public : les concours enseignants ont cette année enregistré une baisse d’attractivité considérable.

Les candidatures sont en chute de 7,8% pour le Capes (enseignement du second degré), et notamment de 16,8% en mathématiques, de 5% pour l’agrégation et de 17% et 20% pour les filières technologique et professionnelle –du jamais vu. Et si le premier degré semble à première vue ne pas trop souffrir, la situation varie grandement suivant les académies.

Le phénomène est somme toute logique : qui voudrait exercer une profession épuisante, avec à la clé une retraite perçue comme à la fois tardive et très modeste ? (...)

Dans ce contexte, le recours aux enseignant·es contractuel·les, dont la formation est bien moins exigeante, continuera à se normaliser dans l’enseignement public comme privé, où il est même plus important.

Il est très facile de décrocher un contrat dans l’Éducation nationale, mais l’expérience peut rapidement tourner au calvaire, à la fois pour les profs et pour les élèves, ainsi que l’a décrit la journaliste Marion Armengod dans Ils ont tué l’école, paru à la rentrée 2019.

Pour comprendre à quoi ressemble une école qui peine à recruter, fait massivement appel aux contractuel·les et où de nombreuses heures ne sont pas remplacées, il suffit de se tourner vers la Seine-Saint-Denis.

C’est une école où les fédérations de parents d’élèves finissent par porter plainte pour « discontinuité du service public » ; c’est une école où les élèves les plus pauvres réussissent particulièrement peu, et largement moins bien qu’ailleurs.
Aggravation des inégalités

Comme le montrent édition après édition les études internationales sur le niveau scolaire, ce qui nous attend, c’est l’école du « grand écart », pour reprendre l’expression de Mattea Battaglia dans Le Monde. (...)

L’enquête PISA souligne depuis des années que la formation des profs, y compris continue, est extrêmement importante pour la qualité des systèmes éducatifs. Encore faudrait-il avoir des candidat·es à recruter qui ne soient pas des contractuel·les.

En attendant de constater l’impact de la réforme des retraites sur l’école, on peut s’interroger sur la stratégie du gouvernement : les annonces actuelles sont-elles volontairement très dures, dans l’espoir que les esprits se calment quand la perte de revenus sera finalement amoindrie ?

  • Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron et LREM devront en assumer les conséquences électorales : s’aliéner une population d’un million de fonctionnaires peu portée sur l’abstention n’est pas anodin. (...)

Relire aussi :
 OCDE ... Entreprise de démolition préméditée (1996)

(...) "Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des
investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique.

Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse.

On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. (...)"