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Mediapart
La deuxième vague de Covid renforce les fractures sociales à travers l’Europe
Article mis en ligne le 24 octobre 2020

Le nord de l’Angleterre, la banlieue sud de Madrid ou le « croissant pauvre » à Bruxelles : des territoires délaissés et densément peuplés sont frappés de plein fouet par la deuxième vague de l’épidémie en Europe. La mise en place de mesures ciblées suscite d’intenses débats.

Alors que l’Europe décide dans le désordre des mesures de reconfinement plus ou moins total – couvre-feux en France, en Belgique ou en Italie, bouclages de métropoles en Espagne, déplacements limités à cinq kilomètres en Irlande, autres restrictions sur les déplacements en République tchèque… –, la deuxième vague de l’épidémie de coronavirus risque de renforcer un peu plus les fractures sociales qui traversent le continent.

Faut-il mettre en place des mesures ciblées à l’échelle de ces territoires ? C’est ce que défendent, par exemple, des doctorants et post-doctorants de l’École d’économie de Paris qui ont identifié, dans une étude consacrée au cas français, un lien « fort et systématique » entre la mortalité causée par l’épidémie au printemps et le niveau de pauvreté des communes (+88 % de mortalité sur les territoires les plus modestes, contre +50 % ailleurs).

Ils plaident pour mieux protéger les travailleurs les plus exposés dans ces villes, mais aussi pour améliorer, à moyen terme, leurs conditions de logement. Dans un récent entretien à Mediapart, un épidémiologiste de Médecins sans frontières allait dans le même sens, jugeant qu’« il faut améliorer les conditions d’hébergement des personnes précaires, en luttant contre la promiscuité, pour limiter la circulation du virus ».

Hors de France, le débat s’est intensifié sur ces enjeux, prenant parfois la forme d’âpres polémiques entre pouvoirs centraux et locaux. Gros plan sur trois territoires frappés de plein fouet par le virus à travers l’Europe, et les réponses des autorités, entre risque de stigmatisation des classes populaires (Madrid) et éléments de réflexion pour une sortie de crise vertueuse (Manchester).

À Madrid, des mesures stigmatisantes « contre les pauvres » (...)

Depuis fin août, les communes du sud de Madrid – Usera, Puente de Vallecas, Villaverde – sont celles où le virus se répand le plus rapidement. Alors que la circulation du virus exploite les inégalités socio-économiques de la région de Madrid, El País oppose un « Covid de riches » à un « Covid de pauvres ».

El Confidencial va plus loin : « Si la première vague frappait les plus âgés, la deuxième frappe les plus démunis. Et aucune restriction d’aucune sorte ne va régler ce problème. » Comment expliquer cette situation ? « Dans les districts à revenu inférieur, les habitants ont des emplois qui, en majorité, ne peuvent être assurés à distance », explique l’universitaire María Grau, coauteure de l’étude sur Barcelone, à InfoLibre. L’impossibilité du télétravail entraîne par exemple un recours plus fréquent aux transports publics, et donc un risque plus élevé d’exposition au virus.

À cela s’ajoutent des conditions de travail plus difficiles, par exemple entre ouvriers des abattoirs, ou entre travailleurs précaires, souvent en milieu fermé et à plusieurs. Autres facteurs souvent avancés : la promiscuité des espaces de vie, mais aussi les contraintes du travail informel. « (...)

Face à cette réalité, la controversée présidente de la région de Madrid, la très droitière Isabel Ayuso Diaz (lire notre portrait) a décrété, mi-septembre, un « confinement sélectif ». Soit un reconfinement de 885 000 citoyens situés dans six districts de la capitale et sept autres communes de la région (il leur était uniquement permis de sortir de leur maison pour aller travailler ou étudier, sur présentation d’un justificatif).

La mesure a déclenché un tollé – et quelques manifestations –, ses adversaires dénonçant une forme de ségrégation et de stigmatisation des quartiers populaires.

des mesures supplémentaires de restriction de la circulation, dans des secteurs de douze communes de la région, dont la capitale tout entière, cette fois, doivent entrer en vigueur ce lundi.

Des professionnels de la santé continuent de plaider pour des mesures ciblées, mais moins punitives : ils réclament des livraisons de masques pour les plus précaires, ou encore l’installation express des personnes détectées positives dans des chambres d’hôtel individuelles, pour ne pas contaminer le reste du foyer dans ces quartiers populaires. Au-delà, ce sont des chantiers de longue haleine, difficilement compatibles avec la gestion à chaud d’une épidémie, à l’instar de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs de l’informel. (...)

Vers des « mesures différenciées » pour le « croissant pauvre » de Bruxelles ? (...)

la seule certitude provient d’une étude publiée le 14 octobre, qui constate, sur l’ensemble du territoire belge, une nette surmortalité au sein des classes populaires. (...)

Joël Girès, qui co-anime par ailleurs un observatoire des inégalités en Belgique : « Jusqu’à présent, c’est une vision très épidémiologico-centrée de la crise qui s’est imposée, et perdure encore, alors que nous avons affaire, aussi, à une crise du logement, à une crise de l’emploi. » Sortir du tout-médical, pour mieux penser la réponse aux quartiers les plus populaires ? Là encore, le contraste est net entre le court terme de la gestion de crise, pour sauver des vies, et la longue durée qu’implique les réponses de fond à apporter…

Du côté de la classe politique, le nouvel exécutif, constitué début octobre à partir d’une alliance très hétérogène, a souligné dans sa déclaration gouvernementale, la nécessité de prendre en compte les questions sociales dans la réponse au Covid – sans le traduire, à ce stade, par quoi que ce soit de concret. (...)

Le maire du Grand Manchester réclame un plan d’aide pour les zones pauvres du Nord

Au Royaume-Uni, la géographie de l’épidémie ne déroge pas à la règle : les quartiers les plus populaires sont les plus touchés. (...)

À Manchester et Birmingham, la moitié des quartiers les plus touchés font aussi partie des plus pauvres du pays. Autre enseignement : dans 42 % des zones les plus frappées par le coronavirus, les Britanniques issus de minorités ethniques y sont plus présents qu’à l’échelle globale de l’Angleterre (même si les statistiques en question remontent à 2011). Ce qui tend à confirmer les alertes du monde associatif, selon lesquelles les minorités ethno-raciales sont aussi davantage touchées. (...)

Comme ailleurs, la densité de population dans ces quartiers urbains et populaires, mais aussi l’impossibilité pour beaucoup de ces habitants de télétravailler, favorise la circulation du virus. Le montant des revenus joue aussi sur la capacité des travailleurs détectés positifs à véritablement s’isoler en quarantaine, en raison de la faiblesse des aides versées pour congés maladie (...)