
Un vent de panique gagne les classes dominantes. Face à la multiplication des appels à déserter, les défenseurs de l’ordre établi montrent des signes de fébrilité. Quelques jours à peine après la déclaration des jeunes d’AgroParisTech à ne « pas perpétuer le système » et à « refuser les jobs destructeurs », on a assisté à un déferlement de critiques et d’insultes pour blâmer leur « lâcheté » et leurs inconséquences. Une campagne de dénigrement a été menée par les milieux économiques et la presse de droite.
Pour eux, déserter serait synonyme de mise en retrait, d’abandon, de passivité. Ce serait un « aveu d’échec », « une forme de renoncement ». « Au lieu d’être dans l’action, ces étudiants sont dans le repli », déplore ainsi leur directeur d’école dans Les Échos. « En désertant, votre impact sera faible », prétend le président des chambres d’agriculture. Certains éditorialistes sont même allés jusqu’à rendre cette joyeuse bande responsable de la faim dans le monde.
Désenchantement radical
L’acceptabilité sociale sur laquelle repose le système économique s’effrite. Malgré ses promesses de renouvellement, avec l’utopie cybernétique ou le fantasme de la Silicon Valley, le capitalisme vit aujourd’hui « une phase de désenchantement radicale ». « Les gens n’y trouvent plus de sens et ne s’y reconnaissent plus. Ce n’est pas encore complètement une révolte mais c’est une désaffiliation profonde », estime la journaliste et autrice Celia Izoard
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Loin d’être un inoffensif abandon, la désertion émerge comme une nouvelle stratégie de lutte face aux désastres de l’époque. Pour ses acteurs, il s’agit de « la première brique d’une émancipation collective ». (...)
Encore aujourd’hui, le travail est un outil de contrôle social et le capitalisme rêve de nous remettre au pas. Il tente de séduire les classes supérieures avec son « sens washing » [2], sa bienveillance, son côté cool et ses start-up. Et il frappe les pauvres avec une réforme de l’assurance chômage qui détruit le statut de saisonniers et précarise tous celles et ceux qui souhaitent ne pas faire du travail le centre de leur vie.
Malgré cette contre-offensive, ceux qui voient le départ comme une option sérieuse restent nombreux. Selon un récent sondage, 40 % des salariés français interrogés — et 50 % des moins de 35 ans — pensent que le mouvement de la grande démission va se produire en France.
« Il s’agit aujourd’hui de cesser de nuire »
Les gens veulent prendre le large, à l’image du célèbre navigateur Bernard Moitessier.
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Encore aujourd’hui, le travail est un outil de contrôle social et le capitalisme rêve de nous remettre au pas. Il tente de séduire les classes supérieures avec son « sens washing » [2], sa bienveillance, son côté cool et ses start-up. Et il frappe les pauvres avec une réforme de l’assurance chômage qui détruit le statut de saisonniers et précarise tous celles et ceux qui souhaitent ne pas faire du travail le centre de leur vie.
Malgré cette contre-offensive, ceux qui voient le départ comme une option sérieuse restent nombreux. Selon un récent sondage, 40 % des salariés français interrogés — et 50 % des moins de 35 ans — pensent que le mouvement de la grande démission va se produire en France.
« Il s’agit aujourd’hui de cesser de nuire »
Les gens veulent prendre le large, à l’image du célèbre navigateur Bernard Moitessier.
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Cette désertion n’a rien à voir avec la passivité. Pour le collectif des désert’heureuses — un groupe d’ingénieurs en dissidence —, il ne s’agit pas d’abandonner le champ de bataille mais plutôt de changer de camp. La fuite s’impose non plus comme une simple défection mais comme une nouvelle stratégie de lutte. (...)
Dans les témoignages qu’a recueillis Reporterre, nombreux sont les anciens salariés à refuser désormais « la politique de l’entrisme » : « Depuis tout petit, on nous assène qu’il faut changer les choses de l’intérieur, qu’il faut prendre la direction et le pouvoir pour transformer le monde, être bon élève, responsable et patient, raconte l’ingénieur démissionnaire Olivier Lefebvre. Mais, en réalité, on se ment. On perd du temps, on s’épuise. On se confronte à des blocages structurels et finalement, on se perd. On se raconte des histoires pour justifier notre mode de vie confortable. » (...)
Une action peut aussi être efficace à l’extérieur. C’est dans les marges que se sont élaborées les promesses du futur. De multiples alternatives le prouvent, comme Notre-Dame-des-Landes. Bruno Latour ne disait-il pas dans une formule provocatrice que « les zadistes sont les instituteurs de l’État » ? (...)
Mais aujourd’hui, le mouvement de désertion se trouve à la croisée des chemins. « On observe une multiplication des trajectoires individuelles mais aussi une repolitisation des discours qui sont assez radicaux », constate la sociologue Anne Goullet de Rugy. Indéniablement, il y a une dynamique, mais elle avance, pour l’instant, à tâtons. « Comment pouvons-nous accompagner ce mouvement pour lui donner plus de force, se demandent nombre de déserteurs. Comment attiser ce désir ? Comment ne pas se limiter à des initiatives individuelles, trop souvent dispersées et construire une démarche qui soit plus politique ? »
Des pistes s’échafa
udent. Partout en France, différents collectifs cherchent à bâtir des points de ralliement pour les fugueurs, des pôles de sécession. La zad de Notre-Dame-des-Landes organisera ainsi des ateliers de la désertion fin août. Une rencontre aura lieu aussi au festival Zadenvie le 8 juillet. Pendant l’été, plusieurs chantiers seront organisés dans différents lieux autonomes, comme aux Lentillères ou dans le Tarn pour inviter les déserteurs à se retrouver.
Faire sauter les verrous d’un autre monde
À terme, des écoles buissonnières et des réseaux de compagnonnage sont imaginés. La désertion est un long parcours qui demande une remise en question et qu’il est difficile d’emprunter en solitaire.
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Une multitude d’initiatives abondent pour ouvrir l’horizon aux candidats déserteurs. (...)
« Nous, les anciens, on doit accueillir les nouveaux, leur faciliter le terrain, être solidaire. Mais surtout, on doit se battre ensemble, assumer le rapport de force et la conflictualité face au modèle dominant. L’époque où on pouvait déserter seul dans son coin, c’est fini. »