Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
La croissance est le grand mythe contemporain
Jean Chamel est anthropologue et ingénieur généraliste. Il anime le blog Cosmopolitix.
Article mis en ligne le 12 juin 2017
dernière modification le 9 juin 2017

Le mythe de la croissance économique est devenu irréaliste, selon l’auteur de cette tribune, car il ne correspond plus à l’expérience vécue par chacun. Pour qu’un nouveau récit pourvoyeur de sens advienne, explique-t-il, il faut solder celui du progrès.

Depuis 2012, on entend régulièrement parler de la thèse d’un économiste étasunien, Robert J. Gordon, selon laquelle la croissance économique des États-Unis (et in extenso des autres pays industrialisés) ne pourrait tendre que vers un ralentissement prolongé et quasi inéluctable.
D’après lui, les innovations de la « troisième révolution industrielle », celle des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication (TIC), ne génèrent pas de gains de productivité suffisants pour conduire à une croissance forte comme lors de la « deuxième révolution industrielle » ; de plus, selon lui, ces dernières innovations sont de moindre importance comparé à l’impact très important sur les modes de vie des innovations précédentes [1].
J’avais écrit en 2010 un court essai présentant une approche similaire à celle de Gordon et dont Reporterre avait [publié un résumé [2]. Nous nous retrouvons avec Gordon sur le constat que les TIC n’ont qu’un impact limité sur la société d’un point de vue économique, ce qui explique leur faible potentiel de croissance. Mais nos vues divergent concernant la perception générale du phénomène.
Pour Gordon, la croissance économique est un processus cumulatif issu d’une succession d’innovations visant à améliorer le bien-être général. Il rend ainsi un hommage appuyé aux grands inventeurs du « siècle révolutionnaire » (1870-1970). Malheureusement, selon lui, les dernières innovations, celles des TIC notamment, n’ayant pas un potentiel d’amélioration aussi fort que ce qu’il appelle les « Grandes Inventions » (électricité, moteur à combustion, etc.), la croissance ralentit. Mais pour Gordon, si demain sortait une nouvelle série d’innovations d’envergure, alors la marche vers le progrès reprendrait et la croissance pourrait revenir à des niveaux plus élevés.
Le récit du progrès continu et inéluctable est un mythe contemporain

Ma perspective est autre. En tant qu’anthropologue, et contrairement à la très grande majorité des économistes, je ne perçois pas le grand récit du progrès continu et inéluctable autrement que comme un mythe contemporain. Un mythe, contrairement au sens qui lui est communément attaché, n’est pas nécessairement faux, et celui-ci en particulier recèle sa part de vérité. Mais par mythe, il faut comprendre avant tout un récit dont l’enjeu n’est pas qu’il soit vrai ou faux, mais qu’il donne du sens à l’expérience concrète de ceux qui l’invoquent [3].
Gordon fournit une explication à la fin de la croissance mais, en restant attaché au mythe du progrès, il ne laisse comme seul espoir qu’un hypothétique retour à « l’âge d’or de la croissance ». En attendant, le déclinisme ambiant qui nourrit les droites extrêmes n’est que la conséquence logique de la prégnance du mythe du progrès dans des sociétés sans croissance. (...)