
Depuis un mois, des manifestations quasi quotidiennes secouent Israël. Une frange de la population réclame la démission de Benjamin Netanyahou, jugé corrompu et accusé d’avoir mal géré l’épidémie de coronavirus et ses conséquences.
Trente mille personnes selon les organisateurs, un peu plus de dix mille en toute vraisemblance, ce samedi 1er août 2020 au soir, Jérusalem a connu la plus grosse manifestation de ces dernières semaines. Car depuis juillet, quotidiennement ou presque, des milliers de manifestants passent leur soirée pratiquement sous les fenêtres du premier ministre, exigeant sa démission. Jugé corrompu alors que son procès pour ce même chef d’accusation doit reprendre en janvier prochain, « Bibi », comme beaucoup le surnomment en Israël, est aussi accusé d’avoir mal géré l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences économiques. (...)
La foule est protéiforme, largement à gauche et au centre de l’échiquier politique, orpheline du camp « tout sauf Bibi » des dernières élections, arrivé en pole position à la sortie des urnes mais perdant au jeu des coalitions. Les médias de gauche, comme le quotidien Haaretz, ont aussi souligné la présence d’une poignée de « pro-Bibi » revenus de leur amour pour le chef du gouvernement mais ces déçus sont trop marginaux pour que l’on réussisse à les trouver dans la foule.
Tout commence il y a quatre ans. À cette époque, Amir Haskel, général de l’armée de l’air à la retraite, est souvent seul, parfois accompagné de quelques amis grisonnants, lorsqu’il arpente les carrefours routiers du pays pour réclamer la démission du « Crime minister » Benjamin Netanyahou. Et puis à l’issue des dernières élections qui ont vu Netanyahou reconduit malgré l’ouverture imminente de son procès pour corruption, le mouvement est baptisé « les drapeaux noirs », en signe de deuil démocratique.
Fin juin, la garde à vue de l’ancien officier qui refuse le titre de leader du mouvement fait tout basculer. Sous le prétexte fallacieux d’avoir bloqué la circulation, il est arrêté alors qu’il manifeste devant la résidence du premier ministre, rue Balfour. La mobilisation pour sa libération est immédiate : il sera relâché après deux nuits en cellule.
Longtemps critiqués pour leur apathie politique, les jeunes rejoignent le mouvement mi-juillet, soudain concernés par un reconfinement qui semble alors imminent et par la crise économique post-Covid, qui a fait grimper le taux de chômage de 4 à 21 %, lequel stagne depuis à 10 %. Du jamais vu pour le pays. (...)
Les drapeaux bleu et blanc se mêlent aux pancartes noires sur fond jaune pointant « le seul coupable », Netanyahou. Autour, le nombre d’agents en armes reste impressionnant, mais la police montée déployée les jours précédents a disparu et les canons à eau, cette fois, n’ont pas été utilisés.
Ronny Blumenfeld se souvient très bien de ce qu’il appelle son « point de basculement ». C’est l’image de Netanyahou, à l’ouverture de son procès fin mai, qui crie au coup d’État, flanqué de ses ministres les plus fidèles, derrière un pupitre siglé des armoiries nationales qu’on a fait amener tout exprès dans l’enceinte du tribunal. « Ce jour-là, je comprends que si cet homme reste au pouvoir, on perdra notre démocratie » (...)
Dans ce mouvement, les classes moyennes et hautes constituent le gros des troupes, les segments les plus défavorisés de la population (Juifs orientaux de la périphérie, Arabes, Éthiopiens, etc.) se faisant rares. C’était déjà le cas lors des manifestations géantes de 2011 contre la cherté de la vie, taxées d’élitistes, au début du moins, par la droite au pouvoir. (...)
Autre lutte présente au rassemblement, en résonance avec les États-Unis, celle pour la justice sociale et raciale, de « Palestinian lives matters » à la dénonciation des violences policières, notamment contre la communauté juive éthiopienne. « Il faut se débarrasser de Netanyahou pour avoir une dernière chance de faire la paix avec les Palestiniens, note Ronny Blumenfeld. Parce que si l’on annexe [le premier ministre a promis d’étendre la « souveraineté israélienne » sur presque 30 % de la Cisjordanie – ndlr], je crains que celle-ci soit impossible. »
Depuis quelques jours, des violences sporadiques émaillent le mouvement. (...)
Comme à son habitude, Netanyahou condamne a minima et se pose en « vraie » victime, postant sur les réseaux sociaux un montage des menaces à son endroit (corde de pendu, mime d’égorgement) sur fond de musique angoissante. Quant à son fils Yaïr, « troll » très suivi sur le Twitter israélien, il a été rappelé à l’ordre dimanche par la justice après avoir publié les noms et adresses des leaders du mouvement anti-corruption, appelant ses soutiens à manifester « jour et nuit » devant leur domicile.
Depuis que les manifestations ont commencé, deux Israël s’affrontent donc, déchirés autour de la figure d’un homme, Benjamin Netanyahou. (...)