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La construction de l’Autre
Article mis en ligne le 4 juin 2014
dernière modification le 1er juin 2014

Dans cet entretien initialement paru dans Migrations et sociétés, Christine Delphy revient sur la question des "autres", ou plutôt, pour reprendre le sous-titre d’un de ses livres, sur "qui sont les autres" [1].

Car ce que sont les autres n’est pas une réalité objective. Les "uns" construisent les "autres", et les construisent par le pouvoir de les nommer, de les catégoriser, de disserter sans fin sur elles et eux, qu’il s’agisse des femmes, des homosexuel-les ou encore des personnes racisées. Cette question, qui constitue un fil rouge de la pensée et des engagements de Christine Delphy, sera longuement traitée dans un documentaire réalisé par Florence Tissot et Sylvie Tissot, qui sortira fin 2014 [2]. Le documentaire de 52 minutes sera accompagné d’un abécédaire abordant différentes thématiques, d’Amitié à Sexualité, de Beauvoir à Wittig. (...)

"Ce qui m’a beaucoup frappée depuis quelques années, c’est tous ces auteurs, y compris des gens qui sont notoirement de droite comme Dominique Schnapper, qui prônent l’acceptation des “Autres”, de l’“Autre”, sans jamais d’ailleurs dire qui c’est ni pourquoi il est
“Autre”. Et aussi le fait que tout le monde semble savoir qui est l’“Autre”, et donc qui est le “Même”.
Je connais bien cette question de l’“Autre”, parce que je suis une “Autre”. La femme est une “Autre”, c’est la grande “Autre”. On ne peut pas la comprendre… Mais qui est ce “on” qui ne peut pas la comprendre ? Pour elle-même, une femme n’est pas une “Autre”.
L’“Autre” c’est donc quelqu’un qui n’a pas droit à la parole. Tandis que “d’autres que les Autres” parlent des “Autres” mais ne se désignent jamais.

J’ai appelé ces derniers les “Uns”. Les “Uns” sont ceux qui ont le pouvoir de désigner qui est “Autre”. Il y a des “Autres” parce qu’il y a des “Uns”. Ces “Uns”-là sont “derrière les autres” dans le sens où ils sont cachés, mais les “Uns” sont premiers, les “Uns” sont ceux qui créent les “Autres”. Après ils se posent des questions sur ces “Autres”, et surtout : faut-il les accepter ?
Pourquoi parlent-ils à la place des “Autres” ? Il n’y a pas de mystère là dedans : ils parlent à la place des “Autres” tout simplement parce qu’ils ont fait les “Autres”. Ils n’arrêtent pas de raconter la “différence” des “Autres”, et donc de se recréer eux-mêmes sans arrêt comme “Uns”. Ils sont les détenteurs de la parole, ils sont en droit de nommer la société, de la diviser en groupes, dont ils sont le groupe dominant, et cela se révèle par leur pouvoir à la fois de créer les “Autres” et de se créer eux mêmes comme “Uns”, comme “non-Autres" (...)