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Claire Mestre, docteur tout-monde
La colonisation au prisme de la littérature et de la psychanalyse
Article mis en ligne le 13 septembre 2019

Cet été, j’ai vécu une coïncidence de lecture. Je suis entrée dans l’énorme roman Tous sauf moi de Francesca Mélandri, et en suis ressortie abasourdie,

Francesca Mélandri ouvre un chapitre de l’histoire coloniale italienne inconnue mais surtout d’une cruauté absolue. Le roman commence par le déboulement dans la vie de l’héroïne, Ilaria, d’un jeune Ethopien, figure familière de la migration d’hommes jeunes, qui affirme être son neveu, soit le petit fils de Attilio Profeti, le père d’Ilaria. Un homme à la peau noire va donc bouleverser la vie et la découverte d’un nouvel arbre généalogique de la femme et de ses frères. Mais surtout, elle va découvrir le passé, secret, fasciste de son père, très engagé dans la colonisation de l’Ethiopie, une colonisation d’une brutalité inouïe, soutenue par une idéologie raciste et scientifique.
Ma lecture n’a pu s’arrêter : l’histoire, prise dans les rets de la fiction, est très bien documentée et le message est clair. Les Italiens, (mais nous Européens), avons refoulé une histoire qui nous revient avec les exilés, ces êtres qui débarquent chez nous, sans rien avoir oublié, eux, du passage des Européens sur leur terre. Le propos n’est pas manichéen, mais il dénonce très clairement le procédé colonial ayant fracassé des cultures, des territoires et surtout exterminé des hommes et des femmes. (...)

Je replonge dans un autre ouvrage, dont le titre ne m’assure pas une légèreté de lecture : Le trauma colonial, une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale en Algérie, de Karima Lazali[2]. Je l’ai dévoré. L’écho avec le livre précédent est saisissant : Karima Lazali, psychologue et psychanalyste articule psychanalyse et histoire, et s’appuie sur la littérature algérienne comme matériel « clinique ». Elle décortique ainsi la sienne (entre Alger et Paris), qu’elle ne livre pas mais dont elle affirme qu’elle est pleine de silences, d’arrêts et de soumission, qui masquent (ou révèlent) les effets d’une histoire collective gravement traumatique. (...)

Ainsi, ce croisement m’apporte une leçon saisissante de ce qu’est la colonisation comme volonté de soumettre l’autre au prix de son assassinat. (...)

la colonisation n’est pas qu’une parenthèse dans la vie européenne, oubliée mais dont les effets sont mesestimés ; elle s’inscrit aux revers du projet démocratique français, fruit des lumières et de la révolution. Citoyens ici, subalternes là-bas. Sujet ici, objet là-bas. Les effets clivants d’un tel événement se prolongent dans une onde sans fin, là-bas en Algérie, mais certainement ici aussi. (...)

Ainsi, les écrivains et la littérature font advenir ce que la société ne peut dire. (...)