
(...) un événement hors du commun : le gouvernement est prêt à remettre en circulation un pesticide interdit, l’un de ces néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles et de tant d’autres insectes. Au motif qu’une maladie des plantes, la jaunisse virale, menace le niveau de production de la betterave industrielle. Notons que cet argument, qu’il soit sérieux ou fallacieux, peut être ressorti dans d’innombrables autres occasions. Et constatons qu’il s’agit de modifier la loi de la République pour complaire à des intérêts on ne peut plus particuliers. À ce stade, c’est une déclaration de guerre à ces millions de Français qui ont déjà exprimé, au travers du mouvement des Coquelicots ou par leurs achats quotidiens, qu’ils voulaient la fin de ce système criminel.
(...) Inutile ici de trop insister : oui, ce système irresponsable est aussi criminel, car il s’attaque au vivant, à cette chaîne si fragile du vivant, jusques et y compris à la santé des humains. La science, la science vivante -en l’occurrence le CNRS et le Muséum national- documente l’effarante disparition des oiseaux et des insectes. Pas au Penjab ou à Djibouti, en France. Ce massacre repose sur une alliance de longue date entre le ministère de l’Agriculture et ses pseudopodes, les firmes de l’agrochimie et ce si curieux « syndicat » qu’est la FNSEA, dont l’action continue semble être d’accompagner la mort des paysans et le triomphe des grosses machines et de la chimie de synthèse. (...)
Ce 6 août, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué par lequel il promet à l’industrie agricole de la betterave un changement de la loi. Celle-ci interdit depuis le 1er septembre 2018 sept pesticides néonicotinoïdes pour la raison certaine qu’ils s’attaquent à l’un des biens communs les plus précieux : les pollinisateurs. Qui a notamment porté cette loi aussi impérieuse que tardive ? Madame Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité, aujourd’hui ministre d’État, en charge de la transition écologique. Sur son blog, madame Pompili écrivait en 2018 : « Je suis très fière d’avoir, avec d’autres, obtenu cette grande avancée dans la loi biodiversité en 2016. Une pensée pour celles et ceux qui se sont battus avec moi dans un contexte difficile : Geneviève Gaillard, Jean-Paul Chanteguet, Viviane Le Dissez, Delphine Batho, Ségolène Royal et d’autres que je remercie pour leur courage et leur détermination ».
Il va de soi, dans ces conditions, qu’il n’y a pas de place dans le même gouvernement pour madame Pompili et monsieur Denormandie, le nouveau ministre de l’Agriculture. Ou l’une ou l’autre. Il n’est pas impossible que, sans s’en rendre compte lui-même, Emmanuel Macron se soit mis dans une situation infernale. Nous verrons bien. Mais dès maintenant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Et la première évidence, c’est que la betterave intensive est, pour le vaste lobby de l’agriculture industrielle, au cœur de cette noble activité.
D’abord parce que c’est la première production agricole française, qui fait de notre pays le deuxième producteur au monde, mais le premier dans le domaine des biocarburants venus de la betterave. Les défenseurs de ce système ne semblent pas gênés, après avoir juré mille fois qu’ils existaient pour nourrir le monde, de distraire des quantités toujours croissantes de plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. (...)
M.Denormandie et son cabinet étaient au point de départ (très) favorables au lobby agro-industriel, et c’est d’ailleurs pour cela et rien d’autre qu’ils sont en place. Voyons d’un peu plus près, ce sera éclairant. Qui est M.Denormandie ? Un ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, grand corps technique d’ingénieurs d’État qui a fusionné avec celui des Ponts et Chaussées. Et que trouve-t-on dans son cabinet ? Des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêt, comme Carole Ly ou Pierre Marie, et même un ancien employé du plus vaste lobby agro-industriel de la planète appelé ILSI -Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta, DuPont, Dow-, Pierre Dussort. En charge au cabinet de la… souveraineté alimentaire.
Ces gens-là ne possèdent qu’une vision, quelles que soient leurs éventuelles qualités personnelles. Le corps du génie rural et des eaux et forêts truste depuis des décennies tous les postes de responsabilité publique dans le domaine de l’agriculture, et il est le grand responsable technique de l’industrialisation des campagnes et de la mort des paysans. Tout a été entrepris sous son contrôle, et souvent à son initiative : le drainage des zones humides, le remembrement et donc la disparition des bocages et des talus boisés, le « recalibrage » des rus et ruisseaux, l’usage massif des gros engins et de la chimie de synthèse. Il serait vain de demander à de telles personnes de miser sur le chant de l’alouette et le bonheur de l’agro-écologie. (...)
Ce projet de modification de la loi française en faveur des betteraviers est une pure et simple infamie.