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La Zone de Libre Echange Africaine est une erreur
Ndongo Samba Sylla est économiste à la Fondation Rosa Luxemburg
Article mis en ligne le 8 avril 2018
dernière modification le 7 avril 2018

Docteur en Economie, Samba Sylla est auteur de plusieurs livres dont Le scandale commerce équitable, Le marketing de la pauvreté au service des riches, et La Démocratie contre la République. L’autre histoire du gouvernement du peuple. Il explique à Maghreb Emergent pourquoi la Zone de Libre-échange continentale (ZLEC) est « un suicide pour les pays africains ».

L’Union Africaine a adopté formellement en 2015 l’idée de mettre en place une Zone de Libre-échange continentale. Le 28e sommet de cette organisation a repris le projet qu’il a discuté officiellement. Où en sommes-nous concrètement ? La Zlec est-elle en train de se mettre en place ?

Pour parler de l’historique du projet de la ZLEC, il faut remonter au Traité d’Abuja (1991) qui s’est donné pour objectif l’intégration du continent à l’horizon 2035. Ce Traité propose de créer la Communauté Economique Africaine en quatre étapes : (1) renforcer les communautés économiques régionales (CER) ; (2) mettre en place une union douanière continentale ; (3) mettre en œuvre des politiques sectorielles communes ; (4) mettre en place un marché commun.

Pour l’instant, nous en sommes toujours à la première étape. En janvier 2012, le sommet des Chefs de l’Etat et de Gouvernement a approuvé le plan d’action BIAT (Boosting Intra-African Trade). C’est en juin 2015, dans le cadre de la 25e session ordinaire de l’Assemblée des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, que les négociations sur la ZLEC ont débuté officiellement à Johannesburg. Quatre documents en ont résulté, y inclus une feuille de route. Deux forums de négociation s’en sont suivis en février 2016 et mai 2016. (...)

Qu’est-ce que une Zone de libre échange peut apporter à l’Afrique ?

A mon avis, vu la configuration du continent et le niveau de développement économique de la plupart de pays africains, une zone de libre-échange continentale n’a pas de justification économique au stade historique où nous sommes.

Les partisans de la ZLEC disent généralement que ce projet est une initiative panafricaine qui s’inscrit dans le contexte du recul de la place de l’Organisation Mondiale du Commerce comme cadre de négociation multilatérale et de l’émergence concomitante des « mega-regionals trade agreements » (grands accords commerciaux de libre échange comme le TTIP, le TPP, CETA, etc.) qui vont avoir pour effet d’éroder les préférences commerciales accordées aux pays africains et de leur imposer de nouvelles normes. Partant de là, la ZLEC serait une alternative face à l’inaction, stratégie qui serait dommageable pour les pays africains, qui permettrait de renforcer significativement le commerce intra-africain et in fine de stimuler la croissance économique du continent. (...)

ce projet part du postulat que les accords de partenariat économique que l’Union Européenne a négociés séparément CER par CER sont une bonne chose pour le continent. J’ai participé du 29 février au 01 mars 2016 à Accra à un colloque international sur la ZLEC. J’ai été stupéfait d’entendre des représentants de l’Union Africaine nous dire que la ZLEC est un projet censé partir des acquis des APE ! Le propos est d’autant plus choquant quand on sait que les mouvements sociaux et certains gouvernements africains ont tout fait depuis le début des années 2000 pour bloquer, jusqu’à présent, toute signature/ratification de ces accords. Qui plus est, certaines études commanditées par l’Union Européenne et certaines de l’Union Africaine reconnaissent que ces APE comportent pour le continent de sérieux risques de désindustrialisation et de détérioration de la situation de l’agriculture. « Si les pays africains pris individuellement sont prêts à faire du libre-échange avec l’Union Européenne, pourquoi ils ne le feraient pas avec le reste des pays africains ? ». Telle est la substance du raisonnement extraordinaire de certains partisans de ce projet. (...)

Si les pays africains échangent peu entre eux, ce n’est pas principalement du fait des barrières tarifaires et non-tarifaires. La raison fondamentale est que ces pays sont pauvres et très peu diversifiés sur le plan économique, réalités héritées de la colonisation et aggravées par la mise en place des plans d’ajustement structurel au début des années 1980 et par le protectionnisme des pays riches. (...)


La Zone de Libre Echange Africaine est une erreur
5 avril par Ndongo Samba Sylla , Maghreb Emergent

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Docteur en Economie, Samba Sylla est auteur de plusieurs livres dont Le scandale commerce équitable, Le marketing de la pauvreté au service des riches, et La Démocratie contre la République. L’autre histoire du gouvernement du peuple. Il explique à Maghreb Emergent pourquoi la Zone de Libre-échange continentale (ZLEC) est « un suicide pour les pays africains ».

L’Union Africaine a adopté formellement en 2015 l’idée de mettre en place une Zone de Libre-échange continentale. Le 28e sommet de cette organisation a repris le projet qu’il a discuté officiellement. Où en sommes-nous concrètement ? La Zlec est-elle en train de se mettre en place ?

Pour parler de l’historique du projet de la ZLEC, il faut remonter au Traité d’Abuja (1991) qui s’est donné pour objectif l’intégration du continent à l’horizon 2035. Ce Traité propose de créer la Communauté Economique Africaine en quatre étapes : (1) renforcer les communautés économiques régionales (CER) ; (2) mettre en place une union douanière continentale ; (3) mettre en œuvre des politiques sectorielles communes ; (4) mettre en place un marché commun.

Pour l’instant, nous en sommes toujours à la première étape. En janvier 2012, le sommet des Chefs de l’Etat et de Gouvernement a approuvé le plan d’action BIAT (Boosting Intra-African Trade). C’est en juin 2015, dans le cadre de la 25e session ordinaire de l’Assemblée des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, que les négociations sur la ZLEC ont débuté officiellement à Johannesburg. Quatre documents en ont résulté, y inclus une feuille de route. Deux forums de négociation s’en sont suivis en février 2016 et mai 2016.

L’objectif de l’Union Africaine est de finaliser le projet ZLEC à la fin de l’année en cours, lequel devra ensuite être ratifié par les Etats pris individuellement.
Mais, avant d’en arriver à ce stade, (i) il faut finaliser l’accord de libre-échange tripartite ; les quatre CER doivent négocier un accord de libre-échange parallèle, un préalable pour directement rejoindre la ZLEC ; (iii) consolider tous ces accords de libre-échange.

Le président nigérien Issoufou devra présenter un rapport sur la ZLEC en juin 2017 lors du prochain sommet de l’UA.

Qu’est-ce que une Zone de libre échange peut apporter à l’Afrique ?

A mon avis, vu la configuration du continent et le niveau de développement économique de la plupart de pays africains, une zone de libre-échange continentale n’a pas de justification économique au stade historique où nous sommes.

Les partisans de la ZLEC disent généralement que ce projet est une initiative panafricaine qui s’inscrit dans le contexte du recul de la place de l’Organisation Mondiale du Commerce comme cadre de négociation multilatérale et de l’émergence concomitante des « mega-regionals trade agreements » (grands accords commerciaux de libre échange comme le TTIP, le TPP, CETA, etc.) qui vont avoir pour effet d’éroder les préférences commerciales accordées aux pays africains et de leur imposer de nouvelles normes. Partant de là, la ZLEC serait une alternative face à l’inaction, stratégie qui serait dommageable pour les pays africains, qui permettrait de renforcer significativement le commerce intra-africain et in fine de stimuler la croissance économique du continent.

L’Afrique ne doit pas rester inactive face aux mega-regionals [...] mais la ZLEC est une mauvaise réponse

Certes, l’Afrique ne doit pas rester inactive face aux mega-regionals. Elle doit proposer une mondialisation qui corresponde à ses intérêts. Mais la ZLEC est une mauvaise réponse.

En effet, ce projet part du postulat que les accords de partenariat économique que l’Union Européenne a négociés séparément CER par CER sont une bonne chose pour le continent. J’ai participé du 29 février au 01 mars 2016 à Accra à un colloque international sur la ZLEC. J’ai été stupéfait d’entendre des représentants de l’Union Africaine nous dire que la ZLEC est un projet censé partir des acquis des APE ! Le propos est d’autant plus choquant quand on sait que les mouvements sociaux et certains gouvernements africains ont tout fait depuis le début des années 2000 pour bloquer, jusqu’à présent, toute signature/ratification de ces accords. Qui plus est, certaines études commanditées par l’Union Européenne et certaines de l’Union Africaine reconnaissent que ces APE comportent pour le continent de sérieux risques de désindustrialisation et de détérioration de la situation de l’agriculture. « Si les pays africains pris individuellement sont prêts à faire du libre-échange avec l’Union Européenne, pourquoi ils ne le feraient pas avec le reste des pays africains ? ». Telle est la substance du raisonnement extraordinaire de certains partisans de ce projet.

Le projet de ZLEC procède d’une lecture erronée des causes de la faiblesse du commerce intra-africain

De plus, il faut dire que le projet de ZLEC procède d’une lecture erronée des causes de la faiblesse du commerce intra-africain. Si les pays africains échangent peu entre eux, ce n’est pas principalement du fait des barrières tarifaires et non-tarifaires. La raison fondamentale est que ces pays sont pauvres et très peu diversifiés sur le plan économique, réalités héritées de la colonisation et aggravées par la mise en place des plans d’ajustement structurel au début des années 1980 et par le protectionnisme des pays riches. Dans la recherche économique, c’est un fait bien connu que les échanges commerciaux s’accroissent avec le niveau de développement économique. Les pays les plus riches commercent plus avec les pays riches qu’avec les pays pauvres.

Le défi premier est donc pour la majorité des pays africains de sortir de leur spécialisation primaire [exportation de produits primaires] en mettant en place des politiques commerciales et industrielles vigoureuses qui soient sélectives et stratégiques. Ce que tous les pays devenus riches ont fait de par le passé.

La seconde raison fondamentale au faible commerce intra-africain est l’absence voire la piètre qualité des infrastructures de transport sur le continent. Ce qui explique bien souvent qu’il est moins coûteux pour un pays d’Afrique centrale d’importer des biens de la Chine plutôt que de son voisin immédiat.

Les partisans du ZLEC mettent ainsi la charrue (libre-échange) avant les bœufs (...)

on nous parle des gains de la libéralisation commerciale, qui ont souvent été modestes dans la plupart des expériences récentes, sans qu’il soit fait mention de la distribution de ces gains. Qui gagne et qui perd à cette affaire ? Y aura-t-il des dispositifs d’indemnisation à mettre en œuvre éventuellement pour les perdants ? Voici des questions primordiales qu’il faudrait poser sur la table. (...)

L’Afrique dispose d’avantages certains : une population jeune, des terres abondantes, des ressources naturelles stratégiques, etc. A ce titre, elle constitue un « marché » prometteur pour les investisseurs internationaux. En même temps, ce discours sur l’Afrique « émergente » comporte beaucoup de fantasmes. La croissance observée sur le continent lors des quinze dernières années s’explique pour l’essentiel par un cours favorable des matières premières et une relative pacification politique. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas encore été associée dans la majorité des pays à une transformation structurelle permettant de sortir de la spécialisation primaire et de créer des millions d’emplois décents. (...)

Ce qu’il faudrait à mon avis c’est que nos gouvernements se distancient du discours « doing business » de la Banque mondiale et essaient plutôt de voir dans quelle mesure les investissements étrangers peuvent concourir à la transformation structurelle de leurs économies et à l’expansion des marchés intérieurs, fonctions que les investissements étrangers n’exercent pas encore. Et pour cela, il faut avoir une approche sélective et stratégique (ne pas accepter n’importe quel type d’investissement) et mettre en place un contrôle des capitaux. (...)

Il est possible de transformer les structures économiques en Afrique sans reproduire la trajectoire écocide du développement de l’Occident, et celle plus récente de la Chine. Mais pour cela il faut sortir de la logique capitaliste (...)