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le Devoir
L’ombre des frontières
#frontières #politiquesmigratoires
Article mis en ligne le 21 janvier 2023

Sous le verglas du début d’année, un homme a été retrouvé sans vie entre le chemin Roxham et le poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle, mercredi. La cause du décès est pour l’instant inconnue, mais des médias ont évoqué le fait qu’il s’agit d’une personne qui tentait de traverser la frontière.

Toute l’hypocrisie de la frontière se dévoile chaque fois qu’un corps s’y échoue. Les morts révèlent la fonction première de la frontière : l’État érige un rempart pour assurer l’accumulation et la rétention du capital, tout en s’autorisant à disposer des corps. Voyez comme on accepte volontiers la mobilité transfrontalière si elle se destine avant tout à produire une force de travail corvéable et précaire. Mais lorsqu’on se présente à la frontière au nom de la vie, l’étanchéité est complète, impitoyable, sans appel. Capturer la valeur, rejeter les corps : une hypocrisie parmi d’autres.

L’hypocrisie la plus grossière, évidente, étant sans doute la solidarité immédiate, inconditionnelle, déployée à l’égard des réfugiés arrivés d’Ukraine dans la dernière année, pendant que l’on continue de crier à la « crise migratoire » du chemin Roxham. Soyons clairs : nous devons toute notre solidarité aux Ukrainiens déplacés par la guerre, c’est incontestable. Mais le contraste est tellement frappant. Il y a ceux qu’on accueille, ceux qu’on emprisonne et ceux qu’on laisse mourir à la frontière.

On évoquera certainement le critère du « mérite » et de « l’innocence », mais franchement, si l’on se mettait à faire les comptes — des pillages, de l’exploitation, de la privation, de la fabrication de l’instabilité chronique dans les pays du Sud —, la feuille de calcul ne servirait pas l’argument. Peu importe, en fait, puisque cela n’a rien à voir avec le mérite, et tout à voir avec la hiérarchisation des vies et la gestion de la mobilité humaine ordonnée par le capitalisme racial. (...)

Un long métrage produit par Netflix, The Swimmers (Les nageuses, 2022), raconte la traversée héroïque et tragique des soeurs Mardini de la Syrie jusqu’à l’Allemagne, où elles ont reçu l’asile. Une traversée terrestre et maritime parsemée de violence et d’exploitation, qui aurait tourné au drame n’eût été les prouesses athlétiques de Sarah et Yusra, qui ont tiré à la nage leur radeau surpeuplé, entre Izmir et le rivage de Lesbos.

The Swimmers illustre bien le drame de la migration d’urgence, l’égoïsme et l’hypocrisie des États européens face aux migrants. (...)

À la fin du film, une simple mention des accusations qui pèsent contre Sarah et ses camarades apparaît à l’écran, avant le générique. La répression de la migration et la violence des frontières sont toujours des apartés, des notes de bas de page, des histoires secondaires. On préfère les histoires sentimentales, celle des migrations « méritées » et « réussies », les histoires qui, avant tout, flattent notre âme charitable. Il serait temps de privilégier un autre récit.