
Les températures hivernales ont fortement augmenté au cours des dernières décennies, bouleversant nos repères climato-météorologiques. Alors que les manifestations normales de l’hiver sont souvent perçues comme exceptionnelles, la douceur est à l’inverse banalisée dans les médias.
Comme chaque année, l’arrivée des premiers frimas en novembre a donné lieu à de nombreux superlatifs, relevait sur Twitter le prévisionniste Florentin Cayrouse. « Une vague de froid va s’abattre sur la France », alertait le site Aufeminin, tandis que La Dépêche et CNews faisaient état d’un « froid polaire » doublé d’un « vent glacial ». À la lecture de ces titres, on pourrait penser que la France s’est brièvement transformé en succursale du pôle Nord. Les conditions météorologiques évoquées étaient pourtant « loin d’être exceptionnelles » pour la période, selon Météo France. Aurions-nous donc oublié ce à quoi ressemble l’hiver ?
Selon Florentin Cayrouse, la tendance qu’ont certains médias à présenter des températures relativement normales pour l’hiver comme exceptionnelles pourrait s’expliquer par notre amnésie environnementale. En raison du réchauffement climatique, les épisodes de froid sont de moins en moins fréquents, explique-t-il à Reporterre. Résultat : « Le ressenti des gens a complètement changé. À force, on a perdu les normalités. »
Le constat est partagé par François Jobard, météorologue à Météo France. (...)
« Toutes les stations françaises montrent une baisse du nombre moyen de jours de gel » (...)
La lecture du livre Hiver. Histoire d’une saison, de l’historien suisse François Walter, permet de mesurer à quel point nos hivers diffèrent de ceux de nos ancêtres. (...)
Difficile, pour un Parisien contemporain davantage habitué à la pluie qu’aux flocons, d’imaginer que les vitres des immeubles pouvaient être recouvertes de « glaçons ». (...)
Ces hivers rigoureux appartiennent désormais aux livres d’histoire, explique François Jobard. Même s’il est encore possible d’observer des épisodes de froid aujourd’hui, ils sont statistiquement bien moins nombreux, moins longs et moins intenses. (...)
Résultat : « Notre perception de l’hiver a changé », selon le météorologue. Plus l’hiver se réchauffe, plus ses manifestations « normales » sont perçues comme exceptionnelles. « Dès qu’il va y avoir un peu de vent, de froid ou de neige, on en parle comme si un tsunami climatique allait s’abattre sur la France, analyse Philippe Dubois, auteur de La grande amnésie écologique. On a dramatisé ces évènements météorologiques, et oublié qu’ils faisaient autrefois partie du paysage. Quand j’étais petit (dans les années cinquante), il neigeait chaque hiver en Île-de-France. Elle tenait parfois pendant huit jours. Maintenant, c’est le sujet d’informations de la journée. »
Des douceurs dangereuses pour les plantes
La douceur hivernale est, à l’inverse, normalisée, voire présentée comme bénéfique. (...)
Ces températures anormalement hautes peuvent pourtant nuire aux écosystèmes. « Malheureusement, avec les vagues de douceur plus fréquentes et précoces, la nature peut se réveiller avec des jours, voire des semaines d’avance », rappelle Florentin Cayrouse. Les bourgeons apparus trop tôt peuvent être détruits en cas de gel printanier, comme ce fut le cas l’année dernière. Le froid hivernal permet également de détruire certains parasites.
Le bouleversement brutal des équilibres climatiques a changé notre vision de cette saison. « L’hiver a toujours été une saison redoutée, détaille François Walter. Jusqu’au XXe siècle, personne ne le voyait arriver avec plaisir. Cette saison générait de l’anxiété, une peur du froid et de ne pas avoir assez de combustible pour se chauffer. » Même si le manque de lumière peut encore générer de la souffrance, les Européens ont aujourd’hui un rapport bien plus hédoniste à la saison, analyse l’historien. (...)
L’historien observe un « transfert » symbolique entre l’hiver et l’été. La saison du givre et des plaines blanchies était perçue par nos ancêtres comme la plus redoutable. C’est désormais l’été et sa cohorte de canicules qui semble en passe d’hériter du mauvais rôle. (...)
Philippe Dubois parle quant à lui de « solastalgie », cette souffrance que nous pouvons éprouver en constatant l’état dégradé du monde dans lequel nous vivons (...)
Notre tendance à nous focaliser sur les évènements météorologiques ponctuels plutôt que sur le temps long du climat pourrait cependant masquer ces changements, et donc la prise de conscience de la gravité du réchauffement climatique, selon Philippe Dubois. D’où l’urgence de proposer des modules sur l’histoire du climat aux écoliers. Sans cela, nous pourrions selon lui « oublier » à quel point les saisons pouvaient être différentes il y a quelques décennies. Et nos souvenirs de l’hiver fondre comme neige au soleil.