
Cloé, 11 ans, habite à Saint-Nolff, une petite commune de 4000 habitants dans le sud de la Bretagne. Depuis un an, elle lutte contre une leucémie. Ses parents, soutenus par un collectif citoyen, aimeraient que leur voisin cesse d’épandre des pesticides près de chez eux. Récit.
En octobre 2019, Cloé était fatiguée. Ses parents la pensaient anémiée. Elle avait en fait une leucémie. Ce cancer du sang, lié à un dysfonctionnement de certaines cellules de la moelle osseuse, est le cancer le plus répandu parmi les enfants, dont la plupart tombent malades entre deux et cinq ans. Le taux de guérison est d’environ 80 %. « Ils nous ont annoncé ça brutalement, un samedi matin, à l’hôpital de Vannes. Le lundi suivant, on était à Rennes et on est restés six semaines », retrace Isabelle, la mère de Cloé. (...)
Des effets secondaires multiples (...)
Les parents de Cloé ont été contraints de revoir toute leur organisation professionnelle. (...)
Une question dévore les parents : qu’est-il donc arrivé à notre enfant ?
Leurs mille et une précautions ne suffisent pas toujours. Ces trois derniers mois, Cloé a été hospitalisée deux fois pour « aplasie fébrile » : incapable de lutter contre la moindre infection, son corps monte en température. « Dès qu’elle dépasse 38°, on doit filer à l’hôpital où elle est mise sous antibiotiques. Ensuite, il faut rester tant que son taux de globules blancs n’est pas remonté. La dernière fois, en août, cela a duré 15 jours. C’est dur pour elle, alors qu’il faisait si beau cet été. »
Le temps est d’autant plus long que depuis que la Covid-19 est arrivée, les blouses roses, clowns et autres magiciens ont déserté les couloirs des unités pédiatriques. « Il n’y a pas grand-chose à faire, se désole Cloé. On s’ennuie. » « L’épidémie nous isole encore plus, constatent ses parents. Avant, il y avait une salle des parents, où l’on pouvait se retrouver et discuter. Maintenant, on est tous cloîtrés dans nos chambres. » (...)
« On ne saura jamais ce qui a provoqué ce cancer, relève Stéphane. D’ailleurs, les équipes de soignants insistent beaucoup sur ce point. Ils nous invitent à ne pas chercher. » « Mais on ne peut pas ne pas chercher, c’est plus fort que nous, ajoute Isabelle. Comme on fait très attention à ce qu’on mange, on se dit que c’est peut-être l’eau du robinet ? Et, bien sûr, le fait de vivre en contrebas d’un champ arrosé de pesticides, cela m’inquiète. Ces produits, ils me font peur. Je viens d’une famille d’agriculteurs. Il y a des malades, et même des morts. »
Des épandages de pesticides effraient la famille
Début 2020, soit quatre mois après le début de la chimiothérapie de Cloé, Isabelle considère avec terreur l’éventualité de nouveaux épandages de pesticides à leur porte (en période hivernal, les pulvérisateurs ne sortent pas). « En période d’aplasie, il ne faut surtout pas que Cloé soit exposée à quoi que ce soit de dangereux pour elle », explique Stéphane. « J’avais peur que notre voisin épande du glyphosate. J’ai appelé la mairie. Personne ne m’a entendue, ni reçue », retrace Isabelle. Le 8 janvier, « la boule au ventre », ils envoient un courrier. « Nous ne souhaitons pas perdre notre fille, écrivent-ils. Il ne faut surtout pas qu’elle soit en contact avec les poisons que l’agriculteur épand. Mais comment faire ? »
Mi-février, sans nouvelles de la mairie, ils écrivent à l’agriculteur pour lui demander de les prévenir lors de ses prochains passages, afin de pouvoir mettre leur fille en sécurité. Isabelle s’entend dire qu’il a des buses « anti-dérives », sortes de cônes posés vers le sol au-dessus des jets des pulvérisateurs et prévus pour limiter la dispersion des pesticides dans l’air. Le ton monte. Isabelle lui propose d’allonger son fils, à lui, près des rampes, « puisque c’est si peu dangereux ». Elle projette de se mettre devant le tracteur pour le faire reculer, mais suit finalement le conseil de Françoise Guilloux et contacte le collectif des victimes de pesticides de l’ouest. Sous leur pression, une réunion a enfin lieu à la mairie, quelques jours après.
Absence de traitement contre compensation financière
« Personne n’est sûr que la maladie de Cloé est due aux pesticides épandus près de chez elle, rappelle Daniel Bertho, maire-adjoint, lui-même agriculteur (en bio), présent à la réunion. Mais nous comprenons bien sûr l’inquiétude de ses parents. » Aux côtés de Daniel Bertho : la maire, la famille de Cloé, l’agriculteur, le collectif de soutien aux victimes des pesticides, et l’association Saint-Nolff 21. Au bout d’une longue discussion, un accord a été trouvé : l’agriculteur s’est engagé à de pas traiter son blé sur une bande de 70 mètres. En échange, la mairie promet de compenser les pertes de revenus estimées au sortir de la moisson. Une sorte de subvention directe, et locale, à la perte de production (...)
Quelle solution pour l’année prochaine ?
« L’agriculteur a eu quand même eu le toupet de suggérer à la famille de Cloé de déménager, souligne Michel Besnard, du Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’Ouest. Cela avait fait monter la tension d’un cran…. » « Oui, il a dit ça. C’est lamentable, et ce n’est pas une solution, éclaire Stéphane. Car cela mettrait en péril l’immunité de mémoire de Cloé. » En changeant de lieu de vie, l’enfant pourrait être confrontée à de nouveaux virus contre lesquels son corps n’a pas appris à se défendre. En période d’aplasie, cela pourrait lui être fatale. « C’est mon immunité de souvenir, intervient la petite fille. Il faut faire attention ! »
Si une solution a été trouvée pour cette année 2020, la famille n’a aucune visibilité sur la prochaine saison. (...)
Trouver une solution est pourtant urgent. Car s’il a arrêté de traiter son blé, le paysan n’a pas pour autant rangé son pulvérisateur. Loin s’en faut. (...)