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Le Grand Continent
« L’exécutif de Meloni est en grande difficulté sur la question des migrants », une conversation avec Matteo Villa
#italie #migrants
Article mis en ligne le 6 avril 2023
dernière modification le 4 avril 2023

Le début de l’année 2023 est marqué une forte augmentation des débarquements par rapport aux années précédentes. Certains médias italiens ont relayé un rapport du renseignement qui prédirait près de 700 000 débarquements cette année. S’agit-il d’une hypothèse crédible ou les données ont-elles été déformées ?

L’hypothèse de 700 000 à 900 000 arrivées en Italie cette année est totalement invraisemblable. L’estimation de « près de 700 000 » provient des services secrets italiens, mais elle se réfère au nombre d’étrangers se trouvant aujourd’hui en Libye, estimé par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). À titre d’exemple, l’année dernière, l’OIM a estimé le nombre d’étrangers présents en Libye à environ 400 000 : il est évident que tous n’ont pas tenté de rejoindre l’Italie — la Libye était et reste l’un des pays les plus riches d’Afrique, et de nombreux étrangers s’y rendent pour y travailler de manière permanente. Toujours en 2022, 53 000 personnes ont atteint l’Italie depuis la Libye, et 78 000 ont tenté de le faire, y compris les personnes interceptées et renvoyées en Libye.

D’autre part, l’arrivée en Italie ne se fait pas uniquement à partir de la Libye, et le nombre total d’arrivées s’élève donc plutôt à 105 000. (...)

Le gouvernement italien a accusé le Groupe Wagner d’alimenter les départs depuis la Libye dans le cadre d’une stratégie de « guerre hybride » contre les positions atlantistes de Rome. Les Russes ont-ils une emprise telle qu’ils pourraient influencer la route Libye-Italie ?

Il y a très peu de preuves à l’appui de cette hypothèse. Le trafic de migrants depuis la Libye est géré de manière « diffuse » par une variété d’acteurs, privés, publics et parapublics, qui peuvent certainement se prêter à une influence extérieure. (...)

au fil des années, nous n’avons quasiment pas eu de signalement d’ingérence systématique de la Russie, à travers le Groupe Wagner ou quelque autre acteur, dans le trafic de migrants depuis la Libye. Au cours des derniers mois, l’hypothèse d’une telle ingérence devient semble-t-il encore moins probable (...)

L’hypothèse — trop coûteuse et irréaliste — de mettre en place un blocus naval de type militaire devant les côtes des pays enregistrant le plus grand nombre de départs a bien entendu disparu. Au lieu de cela, la ligne consistant à endiguer les activités de sauvetage en mer des ONG a été poursuivie, à tel point que dans la période qui va du 22 octobre 2022 au 30 mars 2023, les ONG ont été responsables de 7 % des débarquements en Italie, contre 20 % dans la même période de l’année dernière. (...)

Le plus intéressant est que, après la première crise avec la France en novembre dernier, Meloni est devenue porteuse d’exigences nettement plus modérées en Europe, cherchant même le dialogue avec Paris. La ligne italienne semble même plus souple que celle de certains pays d’Europe du Nord qui, dans les prises de position publiées, proposent d’adopter une approche très stricte à l’égard des pays tiers qui n’augmentent pas le taux de rapatriement de leurs propres compatriotes. D’autre part, sur la question de l’immigration, le gouvernement Meloni sait qu’il joue gros, et la majorité est divisée également en raison de l’approche « maximaliste » de la Ligue, qui a souligné ces derniers jours que la seule période où les débarquements en Italie ont été faibles et en baisse a coïncidé avec la période où Matteo Salvini était à la tête du ministère de l’Intérieur. (...)

En ce qui concerne le naufrage du Cutro1, il y a un transfert de responsabilité entre les nombreuses institutions impliquées, en particulier Frontex, les garde-côtes et la marine italienne. Au-delà des responsabilités sur la tragédie individuelle, est-il possible que ce qui s’est passé souligne un grave problème, aujourd’hui, de chaîne de commandement sur la gestion des sauvetages en mer ? (...)

Le problème existe depuis 2018. Depuis qu’il a été décidé qu’un événement ne devait être déclaré SAR, pour Search and rescue, c’est-à-dire recherche et sauvetage en mer, qu’en cas de demande d’aide explicite de la part d’un navire se trouvant dans la zone SAR italienne — ou, parfois, à proximité de celle-ci, comme la zone maltaise ou algérienne.

Avant 2018, une unité de la Garde côtière (si elle avait été disponible) aurait certainement tenté d’atteindre le navire à la suite de l’alerte de Frontex, qui, dans ce cas, a plutôt provoqué l’activation du dispositif de la Guardia di Finanza pour lutter contre l’immigration irrégulière. Comme on peut s’y attendre, un retard dans le sauvetage augmente le risque que des tragédies comme celles de Cutro se répètent ; tragédies qui, il faut le dire, ont été très rares entre 2018 et aujourd’hui. (...)

Jusqu’en 2018, l’Italie a également utilisé le troisième niveau de protection internationale, la soi-disant protection humanitaire, comme une « faille » pour régulariser des personnes que nous n’aurions de toute façon jamais rapatriées. Puis, avec Salvini, la protection humanitaire a été supprimée et une protection « spéciale » a été introduite. Résultat : le nombre de refus de protection a augmenté, et par conséquent l’irrégularité. (...)

comme cela a déjà été démontré en 2018, moins de protection ne fait que grossir les rangs de ceux qui restent en Italie de manière irrégulière. (...)

les promesses faites pendant la campagne électorale étaient d’une teneur opposée à la tendance des débarquements de ces derniers mois. Sur ce dossier, il ne reste donc plus à Meloni qu’à s’adapter aux exigences « maximalistes » de la Ligue, pour ne pas perdre davantage de consensus et se montrer trop tendre avec ses électeurs, tout en espérant pouvoir faire preuve de diplomatie au niveau européen et international. En cela, elle est aidée par le net virage à droite qui s’opère en Europe sur les politiques migratoires (...)

aujourd’hui les gouvernements européens ne cachent pas qu’ils sont alignés sur les politiques italiennes : contrer autant que possible les départs irréguliers, et convaincre les pays tiers de rapatrier ceux qui arrivent. (...)

Le paradoxe est justement là : l’Italie ne cesse de se plaindre en Europe d’être laissée seule pour gérer le phénomène migratoire, mais en réalité les frontières du Nord sont poreuses, et au moins la moitié des 900 000 migrants débarqués en Italie depuis 2013 se sont retrouvés ailleurs en Europe. (...)

Contrairement à ce que pensent les gouvernements italiens, le règlement de Dublin n’a pas besoin d’être réformé, dans la mesure où la redistribution des personnes débarquées se fait déjà de manière informelle. Et le règlement de Dublin lui-même (art. 13) prévoit qu’après douze mois à compter du franchissement irrégulier d’une frontière entre pays européens (par exemple de l’Italie vers la France), l’examen de la demande d’asile bascule et devient la responsabilité du pays où se trouve l’étranger (en l’occurrence, la France). Bien sûr, cela génère des tensions diplomatiques avec les pays de destination des « mouvements secondaires » en Europe, comme l’Allemagne, la France et la Suède, mais cela met pleinement en évidence la contradiction d’un système qui fonctionne précisément parce que ce qui est prévu par les règles aujourd’hui déjà ne pénalise pas excessivement les pays de première entrée (y compris l’Italie). (...)

Comme toujours en Europe, pour les mesures politiquement sensibles, on ne peut agir que dans l’unité. En ce qui concerne la relocalisation des demandeurs d’asile, cette unité n’existe pas et n’a probablement jamais existé, il est donc peu probable que quelque chose de concret soit fait.

Les seules avancées que nous enregistrons concernent le renforcement des contrôles et des évaluations préliminaires de la légitimité des demandes d’asile directement à la frontière extérieure. Des procédures qui ne feront qu’augmenter le taux de présence irrégulière plus rapidement, si elles ne sont pas accompagnées de rapatriements (peu probables) tout aussi rapides. (...)