
Une instance indépendante est en train d’être supprimée pour être remplacée par un nouveau conseil beaucoup plus lié au ministère.
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Merci, mais nous avons déjà des évaluations
Jean-Michel Blanquer, on le sait, apprécie l’idée de faire évaluer les élèves (c’est désormais chose faite au niveau national en CP, CE1, en 6e et 2de). Il avait déjà initié de telles évaluations quand il était directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco, numéro deux du ministère de l’Éducation), entre 2009 et 2012. Et il relance ce principe, avec deux évaluations par an pour les classes concernées et l’appui du tout nouveau Conseil scientifique de l’Éducation nationale qu’il a mis en place. Une évaluation qui fait dire au ministre qu’« avec ces tests nationaux, l’évaluation est scientifique et complète. Les points de repère sont plus sûrs ».
Ces points de repère doivent être utiles au corps enseignant. En ce qui concerne les évaluations globales, c’est un outil nouveau, mais seulement un outil de plus.
Si dans la communication ministérielle, l’idée selon laquelle notre système scolaire n’était pas évalué se répand, les spécialistes savent bien qu’il n’en est rien. (...)
Et puisque les débats autour de l’école sont inflammables, et que ce sujet est tout de même hélas très idéologique, ce qui serait bien, c’est d’avoir accès aux évaluations les plus sérieuses et scientifiques possibles.
Des conditions pas toujours rigoureuses
Scientifiquement, ce qui fonctionne bien, c’est l’indépendance de l’évaluation. C’est pour cela qu’on fait confiance aux évaluations internationales. Au moment où nous écrivons ces lignes, une instance indépendante, liée à l’Éducation nationale mais dont les membres ne sont pas nommés par le ministre, le Cnesco, est en train d’être supprimée pour être remplacée par un nouveau Conseil d’évaluation de l’école (CEE) qui sera beaucoup plus lié au ministère et qui n’aura pas pour mission d’évaluer les politiques éducatives. Ce que faisait précisément le Cnesco.
Sous le précédent gouvernement, cette instance avait eu la dent dure avec la politique d’éducation prioritaire –ce qui n’avait pas tellement plu au ministre– mais elle avait continué à fournir des rapports depuis l’arrivée de Blanquer aux manettes. (...)
Le Conseil scientifique de l’Éducation nationale, installé en janvier 2018, a procédé à l’élaboration des tests auxquels les élèves ont été soumis, tests dont on peut critiquer le principe. Mais ont-ils été passés dans des conditions scientifiques ? Il s’agit d’évaluations globales et nationales, décidées et conçues rapidement, qui ne favorisent pas une mise en musique toujours rigoureuse. Par exemple, le temps dont les élèves ont pu disposer dans les classes était variable, l’attitude de l’enseignant pas standardisée, etc. (...)
Mattéa Battaglila dans le Monde en décembre 2017 :
« Les difficultés identifiées relèvent moins du déchiffrage ou de la fluidité de lecture que de leur capacité à saisir le sens d’un texte. Ils peinent à comprendre ce qu’ils lisent, en somme : de quoi relativiser la portée de la querelle, récurrente, autour des méthodes de lecture “globale” versus “syllabique”. Faut-il incriminer les programmes scolaires, ce “cœur du réacteur” de l’école ? Les élèves testés lors du dernier Pirls ont, pour l’essentiel, suivi les programmes de 2008, très centrés sur les “fondamentaux” –entrés en vigueur sous la droite l’année d’un retour à la semaine de quatre jours. Ils sont pointés du doigt par les syndicats enseignants. »
« On leur demande des choses qu’ils n’ont pas apprises »
Ensuite, pour les évaluations de cette année, d’autres éléments mettent la puce à l’oreille. Les critères mobilisés pour les tests sont inédits avec des mesures dont on n’a jamais entendu parler jusque-là. (...)
Roland Goigoux, chercheur spécialiste de l’apprentissage de la lecture s’interroge : « Je n’ai jamais vu cette norme de cinquante mots à la minute circuler dans un document du ministère, ni dans les programmes, ni sur les site destinés aux enseignants. D’après les études que j’ai réalisées, le seuil est passé par 30% des meilleurs élèves ».
Il ajoute que ce qui est demandé aux élèves paraît bizarre : « Ces tests ressemblent à des tests individuels fabriqués pour des classes entières. On demande aux enfants de CP de faire des choses qu’ils n’ont pas apprises auparavant. Savoir quelle lettre est utilisée pour un mot prononcé à l’oral par le prof, c’est compliqué pour les élèves en début de CP. À mon sens, on fait une étude qu’on interprète de manière spécieuse ». (...)
Le chercheur regrette également qu’il n’y ait aucune épreuve d’écriture, dont on sait qu’elle est décisive et prédictive pour l’apprentissage de la lecture et correspond bien aux apprentissages faits en maternelle. En parlant avec lui, on entend que ces tests ont été faits par les psychologues et neuroscientifiques du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, qui ont négligé –ce qu’ils n’ont pas l’habitude de faire– la production écrite des enfants.
Ce que l’on comprend surtout, en lisant et en écoutant Goigoux, c’est à quel point ces tests ne sont pas consensuels et pourront être contestés, par exemple par ce chercheur qui travaille depuis des décennies sur le sujet et dont tout le travail semble être superbement ignoré par le Conseil scientifique.
Une grande leçon de communication
Ce qui est appelé « science » ici n’est donc pas pur ni sans arrière-plan critique, idéologique, historique et… politique, peut-être. (...)
ce qui est déjà sur les rails et a été présenté ce lundi 15 octobre, c’est une loi « pour une école de la confiance », qui n’était pas prévue au programme (le ministre avait dit qu’il ne ferait pas de loi), en réponse aux difficultés de l’école –celles, par exemple, mises en avant pas les tests. Une loi déjà prête le jour de la parution des résultats, donc.
Cela donne-t-il l’impression qu’au ministère on savait déjà ce qu’on allait trouver et comment on allait le commenter ? Oui. Que les résultats des élèves soient médiatisés le même jour que l’annonce de la loi, comme une justification à celle-ci, pourrait donner le sentiment que l’objectif n’était pas seulement d’évaluer les classes mais aussi de communiquer sur l’action politique.
Qu’on soit un vrai scientifique ou qu’on se contente comme moi de lire, regarder ou écouter de la vulgarisation, l’ensemble ne donne pas une impression de très grande rigueur. Au contraire, c’est plutôt une grande leçon de communication qui vient de nous être administrée par le très populaire ministre de l’Éducation nationale. Et c’est dommage.
Dommage parce qu’on est tous et toutes d’accord, il est urgent de relever le niveau des élèves en lecture et en mathématique. Dommage parce que la méthode, plus politique que scientifique, paraît contestable et parce qu’au bout d’un moment, le procédé qui consiste à communiquer sur les évaluations qu’on a soi-même conçues pour justifier sa politique n’est pas si habile au fond. Est-cela l’école de la confiance ? Une fois de plus, les mots de la politique sont des masques, et ce mésusage du mot « confiance », qui semble être ici le nom d’une vraie remise au point politque, risque in fine d’alimenter la défiance.