
L’affaire semble entendue et ne pas souffrir de débat : il y a un problème des retraites. Dans l’introduction de son indispensable livre, L’enjeu des retraites, Bernard Friot revient sur la construction même de ce « problème », et déconstruit la manière très particulière dont il est posé par l’actuel gouvernement, comme par le précédent, pour imposer des « réformes » qui s’apparentent à un démantèlement. Pour y résister, nous relayons également l’appel à manifester ce mardi 10 septembre 2013.
Un problème démographique, d’abord : avec le passage d’un actif pour un retraité à un pour deux d’ici cinquante ans, la question ne serait « ni de droite ni de gauche, mais arithmétique », comme dit Mme Parisot.
Un problème comptable, ensuite : les déficits actuels et surtout prévus seraient tels qu’il faudrait dans l’urgence « sauver le régime par répartition » en réduisant ses prestations, à « compléter » par de la capitalisation.
Un problème moral, enfin : il faudrait rétablir l’« équité intergénérationnelle » car nous serions en train de nous constituer des droits qui obligeront nos enfants à nous payer dans l’avenir des pensions d’un trop fort niveau compte tenu de ce qu’ils pourront produire. Et Mme Parisot n’est pas la seule à nous le dire : les gouvernements successifs de droite et de gauche nous le disent depuis vingt ans, les experts nous le répètent de rapport en rapport, et le consensus est partagé.
C’est précisément le caractère si consensuel de ce discours qui devrait nous alerter. Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire, comme dans une affaire criminelle dont la résolution, rondement menée, laisse perplexe. Des indices ?
Pourquoi ne sauve-t-on pas les retraites de la même manière qu’on a sauvé les banques ? (...)
Molière nous a appris à nous méfier de ces dangereux médecins et de leurs prétendus remèdes. D’autant plus qu’il y a trente ans que cette thérapeutique dure et que nous voyons bien que ces sauvetages ne sauvent que les actionnaires.
Un problème qui ne serait ni de droite ni de gauche, mais seulement arithmétique ?
Imaginons le ridicule de Mme Parisot prédisant, en 1900 : un Français sur trois travaille aujourd’hui pour l’agriculture ; or, il n’y en aura plus qu’un sur trente en 2000, donc la famine en France en 2000 est inévitable, ce n’est un constat ni de droite ni de gauche, mais arithmétique. En cinquante ans, la production double avec le même nombre d’actifs, et l’arithmétique de Mme Parisot relève du café du commerce… N’est-ce pas plutôt que son arithmétique est au contraire très politique, et que, pour elle, les gains de productivité doivent continuer indéfiniment à aller aux seuls actionnaires, comme c’est le cas depuis trente ans ? (...)
Si l’expérience de ce bonheur et de cette liberté au travail des retraités, parce qu’ils sont libérés des employeurs et des actionnaires, était reprise et érigée en revendication politique majeure ? Ne trouvez-vous pas très curieux que la retraite, qui constitue sans doute la plus grande réussite sociale des dernières décennies, ne soit objet de débat public que sur le registre négatif du « problème » ? Quand ceux qui nous dirigent font de notre bonheur un problème, est-ce un problème pour nous ou pour eux ? Et qu’avons-nous à gagner à partager leur diagnostic ? (...)
Si l’on en croit le consensus réformateur, une retraitée qui peut exercer ses fonctions d’élue municipale grâce à sa pension de 1200 euros par mois, un retraité qui peut produire des fruits, des légumes et des fleurs en cultivant son jardin grâce à sa pension de 1600 euros par mois seraient des improductifs qui ponctionnent 2800 euros sur notre richesse commune ! Alors qu’un publicitaire payé dix fois plus pour concevoir une campagne de communication justifiant la privatisation de La Poste y contribuerait, lui, pour 28000 euros. Et si, en réalité, c’était le contraire ? (...)
Cet ouvrage s’interroge sur la raison de l’incontestable réussite de notre système de pensions. Il montre comment nous pouvons vaincre la réforme en poursuivant, en pensée et en pratique, le mouvement historique qui l’a édifié. Et il définit les moyens de le porter, aujourd’hui, à un niveau supérieur.