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L’enfer des passes, de Rachel Moran [compte rendu]
#femmes #prostitution
Article mis en ligne le 17 mai 2023
dernière modification le 16 mai 2023

s, de Rachel Moran [compte rendu]

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Le système prostitutionnel fait l’objet depuis de nombreuses années d’études féministes variées : Barry (L’esclavage sexuel de la femme, 1982), Legardinier (Prostitution  :une guerre contre les femmes, 2015), Ekman (L’être et la marchandise, 2013), Montreynaud (Zéromacho, 2018).

Les témoignages de prostitué·es peinent à s’exprimer ou à se faire entendre, et plus encore les témoignages d’ex-prostituées. Pourtant, ces dernières en particulier sont celles dont « l’objectivité » n’est pas polluée par des intérêts immédiats dans le système prostitutionnel, avec l’avantage de posséder une connaissance poussée, prolongée et intime du milieu et de l’activité.

C’est ce qui donne une richesse et une rare force au livre L’enfer des passes de la féministe irlandaise Rachel Moran, qui a vécu la prostitution pendant sept ans.

Les quelques 26 chapitres sont « un exercice de dépassement » (p. 327) d’elle-même afin de renaître de ses hontes – pour reprendre le titre d’un autre livre d’une ancienne prostituée, Laurence Noëlle. Moran y dissèque son propre parcours et brave « les ondes de choc » (p. 307) de son passé de femme prostituée, dont le stigmate perdure dans le temps – malgré la récente loi abolitionniste qui décriminalise leur activité.

Comme une bonne moitié des personnes prostituées en France, Moran est entrée dans ce monde à l’adolescence, à 15 ans. Durant les années qu’elle y a passées, elle a connu la prostitution de rue, puis les clubs de strip-tease, les agences d’escort – elle-même en fonda une par la suite – ainsi que la prostitution dans les bordels. C’est donc en connaissance de cause qu’elle effectue son travail de documentation, avec le souhait de susciter des dialogues sereins, en dépit de la « fouille émotionnelle douloureuse » que sa démarche comportait pour elle-même.

Dans sa préface à l’édition française, Moran insiste sur le fait que la prostitution n’est pas un travail et qu’« être prostituée » n’est pas une identité : ce sont des hommes qui prostituent des femmes ; elles sont mises en prostitution, elles sont prostituées par d’autres. C’est en ce sens qu’elle parle de «   femme prostituée » : une femme mise en situation de prostitution.

Son ouvrage, plein de réflexivité et véritable objet littéraire – tant l’écriture est à la fois claire et imagée –, est composé de trois parties : l’avant-prostitution, la prostitution, puis l’après (...)

Son témoignage fait voler en éclats certains mythes persistants, propices à maquiller le réel : le mythe de la prostitution comme un « travail ordinaire » (p. 262), le mythe de la « pute de luxe » (p. 119), celui de la « pute heureuse » (p. 183), ou encore celui de « la maîtrise [de la situation par] les prostituées » (p.  203). Le réquisitoire est puissant, tout en étant plein de finesse (...)

Son approche permet de dépasser le cadre du simple témoignage individuel. Il s’agit en définitive d’un livre politique, d’une combattante, d’une femme attachée à la vérité et à la justice. (...)