
Dans un premier article, nous avons décrit la domination d’un oligopole de quatre groupes sur l’édition scientifique mondiale. Cette domination a suscité des réactions pratiques des autres acteurs de ce secteur, -bibliothécaires, documentalistes et chercheurs - réactions qui ont progressivement donné naissance à un nouveau modèle éditorial, concurrent du premier, et plus conforme à l’idée que se font les chercheurs de leur communication.(...)
La première réaction face à la hausse du prix des revues a été, pour les bibliothécaires et documentalistes, de se regrouper pour constituer une force de négociation face aux grands éditeurs. Ces groupements d’achat s’appellent les consortiums. Les consortiums de bibliothèques existent depuis les années 1930 aux Etats-Unis, mais ils ont connu récemment, à la fin des années 1990 un nouveau développement pour les raisons indiquées plus haut(...)
En France, le consortium Couperin est le plus important. Fondé en 1999, il associe 200 membres (Universités, grandes écoles, centres de recherche). S’ils obtiennent pour leurs adhérents des prix plus intéressants, les consortiums sont également avantageux pour les éditeurs car ils leurs permettent de toucher, en une seule négociation, un grand nombre de clients. Par contre, les négociations du consortium portent sur des bouquets de revues qui ne répondent pas toujours aux intérêts de chacun de leurs adhérents pris individuellement(...)
Cela dit, les consortiums, malgré l’aide incontestable qu’ils apportent, n’ont pas permis de modifier sensiblement la politique des prix des grands éditeurs.(...)
Ce sont sans doute les bibliothécaires des universités de Californie qui sont allés le plus loin dans la contestation des pratiques des éditeurs commerciaux. A la suite d’une augmentation en une année de 400% du tarif de la licence d’accès au bouquet des 67 revues du groupe NPG (Nature Publishing Group) qui publie notamment la célèbre revue « Nature », ils ont proposé aux chercheurs de l’université et menacé l’éditeur de boycotter ses revues, c’est-à-dire de ne plus proposer d’articles ni participer aux Comités de lecture [2](...)
C’est de la communauté scientifique, sensibilisée par les bibliothécaires et les documentalistes et stimulée par les possibilités offertes par Internet, qu’est venue la riposte la plus ferme à la domination des grands éditeurs. (...)
– Octobre 2000 : fondation de The public library of science (www.plos.org) réunissant de nombreux chercheurs américains. Ces chercheurs, dont nombre sont illustres, lancent une pétition exigeant que tout contenu d’une recherche financée sur fonds publics soit librement accessible sur le web six mois après publication dans des revues payantes. Cette pétition recueille 38 000 signatures de chercheurs de 180 pays.
– Février 2002 : Initiative de Budapest pour l’accès ouvert, qui est un véritable manifeste où les scientifiques retrouvent des accents oubliés : « Une tradition ancienne et une technologie nouvelle ont convergé pour rendre possible un bienfait public sans précédent. La tradition ancienne est la volonté des scientifiques et universitaires de publier sans rétribution les fruits de leur recherche dans des revues savantes, pour l’amour de la recherche et de la connaissance. La nouvelle technologie est l’Internet. Le bienfait public qu’elles rendent possible est la diffusion électronique à l’échelle mondiale de la littérature des revues à comité de lecture avec accès complètement gratuit et sans restriction à tous les scientifiques, savants, enseignants, étudiants et autres esprits curieux. Supprimer les obstacles restreignant l’accès à cette littérature va accélérer la recherche, enrichir l’enseignement, partager le savoir des riches avec les pauvres et le savoir des pauvres avec les riches, rendre à cette littérature son potentiel d’utilité, et jeter les fondements de l’unification de l’humanité à travers un dialogue intellectuel, et une quête du savoir communs. » (extrait de la Déclaration du 14 février 2002 citée sur le site Openaccess de l’Inist)
Octobre 2003 : La déclaration de Berlin reprend les principes de l’appel de Budapest sur le libre accès à la littérature scientifique. La déclaration de Berlin a été signée par les centres de recherche allemands et par quelques centres de recherche français, dont le CNRS.
Il ne s’agit de rien de moins que de constituer une banque mondiale de textes scientifiques de toutes disciplines librement accessibles. Autrement dit « écrire sur le ciel » [3]pour que chacun puisse lire.
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Malgré l’opposition des grands éditeurs à une initiative qui les menaçait explicitement, l’accès libre s’est développé d’une manière continue. Il prend deux formes :
– Les revues en libre accès(...)
– Les archives ouvertes. (...)
Nombre des articles en libre accès sont sous licence « creative commons » définie par l’auteur (qui ne cède donc plus ses droits à l’éditeur), licence qui autorise une large diffusion des articles concernés.
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L’issue de la lutte entre ces deux modèles est incertaine, mais quelle qu’elle soit, on ne peut que se féliciter, en ces temps de libéralisme échevelé, qu’une initiative collective en faveur de ce que l’on pourrait appeler un service public mondial de la communication scientifique, ait pu connaître un tel développement, jusqu’à ébranler les fondements d’un oligopole que l’on aurait pu croire installé pour encore des décennies.(...) Wikio