
Depuis une quinzaine de jours, un ensemble de bâtiments à l’abandon a été « réquisitionné » à Talence pour héberger des personnes sans domicile, dont plusieurs familles avec enfants. Propriétaire de ces locaux, l’Université de Bordeaux y accueillait des étudiants jusqu’en juin dernier, et souhaiterait les vendre. Il demande au tribunal administratif l’expulsion des squatteurs.
Changement d’occupants au « site Lamartine », à Talence. Jusqu’en juin dernier, et comme ne l’indique pas son nom de poète romantique, on enseignait surtout les maths aux étudiants de l’Université de Bordeaux (UB) dans cet ensemble de huit bâtiments. L’ »Unité de formation Mathématiques et interactions » y était même hébergée. Et puis plus rien : les ouvertures sont murées, l’université déménage, 2840m2 sont laissés à l’abandon.
Il y a deux semaines, face au nombre de personnes sans abri à l’approche de l’hiver, plusieurs personnes commencent à occuper les lieux. Parmi elles Vincent, salarié, la trentaine, arrivé à Bordeaux il y a deux mois et demi avec son petit frère pour le travail.
« On ne trouvait aucun logement, on nous disait qu’il y avait 3 ou 4 ans d’attente pour avoir un logement social. »
Alors, après avoir « cramé toutes [leurs] économies dans un hôtel puis au camping », ils se mettent à camper sur l’aire d’autoroute de Cestas. Quand un collègue lui parle de l’ouverture de ce squat et qu’il arrive ici, Vincent nous raconte avoir été « le plus heureux des hommes ».
« En tente, tu es trempé tous les matins à cause de la condensation, tu dois démonter le matin, remonter le soir. Ici il fait chaud, on ne subit pas la pluie. »
Déjà une naissance
Pour le moment, une équipe d’une dizaine de personnes s’occupe d’organiser les lieux, de les mettre en état et d’accueillir les personnes à la rue. Dans le bâtiment principal (autrefois baptisé « hôtel de Salles ») on trouve une sommaire cuisine collective, un stock de denrées alimentaires issues de la récupération, et des dortoirs dont un dit « temporaire » pour les personnes de passage.
Selon Vincent, une cinquantaine de personnes avaient dormi ici la veille (mercredi), dont une quinzaine de mineurs, bon nombre de demandeurs d’asile, et au moins un étudiant. « En début de semaine c’était 20. Ça change chaque jour. »
Les occupants sont aidés par des associations (Médecins du monde, Restos du cœur) et des particuliers, comme ce groupe de motards qui récupèrent et redistribuent des meubles. Et la « famille » s’agrandit : une femme enceinte qui logeait ici vient même d’accoucher (à l’hôpital), et devrait bientôt revenir avec son bébé.
Audience électrique
Sur les 8 bâtiments que compte le site, deux ont été mis de côté car jugés trop insalubres et dangereux, et l’un est partiellement fermé pour les mêmes raisons. Mais le reste est en très bon état, juge Vincent, qui a mis ses compétences de technicien supérieur en gestion industriel (« ça correspond à la gestion d’une usine », nous dit-il) au service du collectif. (...)
« Ni utile ni urgent » de déloger
Sur place, comme nous avons pu le constater, les salles de classes transformées en chambre sont propres, il y fait bon, l’eau chaude est même disponible, et les tableaux électriques ne semblent pas si anciens que cela. Si la lumière fait défaut à l’intérieur, ce n’est pas faute de fenêtres : mais celles-ci ont été intégralement obturées par des murs de parpaings suite à l’abandon du site.(...)
Devant le tribunal, l’avocate de l’université a fait référence à un « projet » qui viendrait s’établir sur ce site. Mais sans pouvoir en dire plus. Selon Maître Foucard, « il n’y a aucun projet sur le lieu pour lequel un acte de déclassement allait être pris ». L’expulsion n’est donc ni « utile » ni « urgente » estime-t-il, la présence des deux critères étant nécessaires pour prendre une telle décision. (...)
Ascenseur social
S’ils ne sont pas expulsés, les habitants comptent installer un magasin gratuit dans l’ancienne bibliothèque, un atelier mécanique, ainsi que « des activités dans tous les domaines ». En tout cas, assurent-ils, « cela doit être un lieu interculturel ».
Ils ont déjà baptisé leur squat, qui pourrait devenir l’un des plus grand de l’agglomération : l’ascenseur, en référence à celui qui se trouve dans le bâtiment principal. « Il fonctionne, il a même été révisé cet été » s’enthousiasme Vincent, qui n’avait jamais vécu dans un squat. « Et puis ça fait penser à l’ascenseur social. On voudrait donner un coup de pouce et aider les gens. »
« C’est magnifique la solidarité qu’il y a entre nous. C’est ce qui fait qu’on a pu gérer en si peu de temps l’arrivée des familles. Je ne m’attendais pas à un tel engouement » poursuit-il.
Du côté de l’UB, nous n’avons trouvé aucun interlocuteur disponible pour nous répondre. (...)