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Slate.fr
L’annonce de Mark Zuckerberg qui va révolutionner Facebook
Article mis en ligne le 9 mars 2019
dernière modification le 7 mars 2019

Nous ne nous souvenons pas du 4 février 2004 –du moins sans doute pas pour cette raison. La journée fut pourtant historique, l’une des plus importantes de ces dernières décennies, car elle ouvrait une nouvelle perspective qui allait durablement bouleverser notre rapport aux autres, à l’information, à la démocratie, à l’économie : le 4 février 2004, Mark Zuckerberg lançait Facebook avec quelques potes de Harvard et inventait l’ère des réseaux sociaux.

Peut-être nous souviendrons-nous du mercredi 6 mars 2019 comme d’une autre date majeure dans l’histoire du monde moderne : c’est le jour où Mark Zuckerberg a annoncé un changement de paradigme si profond pour sa plateforme que ses implications sont encore difficiles à évaluer. (...)

De la sphère publique à la sphère privée
Sous pression après les scandales qui ont touché sa firme –peut-être plus proche d’un effondrement qu’on ne le pense– semaine après semaine au cours de ces derniers mois, l’Américain a ainsi annoncé que Facebook allait désormais privilégier les conversations privées et cryptées, éventuellement en groupe, plutôt que les prises de parole publiques. (...)

Un virage à 180°, et beaucoup de questions
Le contre-pied est donc total. Mais la nouvelle ne tombe pas de manière complètement inattendue pour toute personne informée qui écoutait déjà attentivement les signes diffus qu’envoyaient depuis quelques semaines les troupes de Menlo Park. La compagnie a ainsi, il y a peu, annoncé la fusion des messageries de Facebook, WhatsApp et Instagram, ses trois grandes possessions.(...)

Tout aussi significatif, on sait que Facebook se penche avec un intérêt de plus en plus croissant sur la question de la blockchain, garantie technique d’échanges très sécurisés, ainsi que sur la possibilité de créer sa propre crypto-monnaie et d’investir le monde des transactions financières.(...)

Le modèle économique de Facebook est principalement fondé sur les publications publiques de ses membres et la publicité qu’elles génèrent : comment transformer l’essai si la priorité est désormais réservée aux communications privées ? Ces échanges privés le seront-ils réellement, et quelles seront les garanties ? Comment les médias, et notamment les médias en ligne devenus facebooko-dépendants, pourront-ils survivre si le « reach » de leurs publications se rabougrit sur des fils d’actualité n’étant plus centraux ? (...)

Mais ce net recentrage sur la sphère privée est peut-être, pour Mark Zuckerberg, le signe d’une prise de conscience réelle, philosophique et morale que son bébé a échappé à son contrôle, en créant des dégâts profonds sur son passage. Les rodomontades permanentes et chantages de reprise en main, les menaces d’amendes records ou la grande violence de la critique émise par une commission parlementaire britannique (« gangsters digitaux », a-t-il été écrit) ont probablement joué leur rôle. (...)

Influence des réseaux sociaux sur la propagation des fake news, utilisation des données privées à des fins d’ingérence politique étrangère comme lors du scandale Cambridge Analytica : le poids pris dans nos sociétés et nos vies intimes par la plateforme aux 2,7 milliards d’âmes est immense, et il est temps pour Zuckerberg d’apprendre à mieux maîtriser le monstre social auquel il a donné naissance.

Lire aussi : Tout ce que dit Mark Zuckerberg (et ne dit pas) sur la bascule de Facebook sur la vie privée
Aux yeux d’Alex Stamos, c’est un mouvement habile qui servira aussi à atténuer les scandales autour de Facebook.

« Dans un monde où tout sera chiffré et ne durera pas longtemps, des pans entiers de scandales seront invisibles pour les médias », prévient-il. Voilà le revers de la médaille d’une sécurité au plus haut niveau, même si Facebook, à en croire son patron, entend mettre au point des systèmes de sécurité appropriés, et que les résolutions d’enquêtes ne dépendent heureusement pas uniquement de l’accès en clair à des communications chiffrées.

DÉCALAGE ENTRE LES PAROLES ET LES ACTES
Le discours de Mark Zuckerberg survient dans un contexte spécial pour l’entreprise, car la société est à l’aube d’un grand chamboulement dans ses activités mobiles. Le réseau social a dans les cartons le projet de rapprocher ses différentes applications (Messenger, WhatsApp, Instagram) pour pouvoir les faire communiquer entre elles. Et bien sûr, il est question de chiffrement de bout en bout.

Du fait du passif de Facebook, ou en tout cas de l’image que le réseau social renvoie en matière de respect de la vie privée, l’intervention de Mark Zuckerberg a été accueillie avec un scepticisme poli, dans le meilleur des cas. Nombreux ont aussi été les internautes à balayer d’un revers de main les propos du chef d’entreprise, estimant qu’il s’agit-là d’un énième coup de pub sans lendemain. (...)

comme toujours, le diable se cache dans les détails.

Comme l’ont fait remarquer divers observateurs, la manœuvre de Facebook semble avant tout dictée par des enjeux de concurrence et de régulation plutôt que par une prise de conscience éthique. C’est ce que pense Ashkan Soltani, l’ex-directeur technique de la Commission fédérale du commerce, qui s’occupe aux USA du droit de la consommation et des pratiques commerciales anticoncurrentielles :

« Cette décision est tout à fait stratégique pour utiliser la protection de la vie privée comme un avantage concurrentiel et pour verrouiller davantage Facebook comme plateforme de messagerie dominante », commente-t-il. Et de poursuivre : « Tandis que les communications entre usagers seront chiffrées de bout en bout, les messages aux services Facebook seront toujours collectés et retenus par Facebook afin de vous fournir les services (par exemple, lorsque vous chattez avec des chatbots) ». (...)

Autrement dit, Facebook s’éloignerait donc d’un modèle publicitaire pour embrasser celui de l’intermédiation entre des clients et des commerces. Toute la question est de savoir si les masses d’argent que brasse Facebook avec la publicité pourront être retrouvées avec l’intermédiation commerciale. Cela éclaire en tout cas les bruits de couloir autour d’une future monnaie numérique chez Facebook, adossée à des devises légales, pour faciliter les paiements et les transferts dans l’écosystème de Facebook.

Sans surprise, la tribune publiée par Mark Zuckerberg évoque très superficiellement les enjeux économiques derrière cette réorientation, mais elle laisse bien transparaître que c’est d’abord pour des raisons d’évolution du marché que cette trajectoire est prise, plutôt que parce que l’opinion publique ou les États — et qu’il s’agit bien du chiffrement de bout en bout entre les utilisateurs, pas avec les services. (...)