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L’alliance entre ouvriers et écologistes est possible - mais il faut la vouloir !
François Ruffin. Texte paru dans le numéro 65 de Fakir
Article mis en ligne le 22 mai 2014
dernière modification le 14 mai 2014

Pendant des années, les ouvriers de l’usine Goodyear, à Amiens, ont lutté contre les licenciements. Une lutte tenace, acharnée, courageuse, mais qui s’est conclue par la fermeture du site. Au fond, cette lutte était anti-productiviste, et aurait pu former alliance avec les écologistes… sauf que les syndicats furent incapables d’en dégager le sens à peine caché.

L’avant-garde du prolétariat s’est donnée rendez-vous, ce vendredi 17 janvier, sous le crachin et sur le parking des Goodyear. Combien sont-ils, combien sommes-nous ? Cent, deux cents ? Des Florange, quelques Fralib, des Ford-Blanquefort, les citadelles assiégées ont répondu à cet « appel national », un peu, pour ce baroud d’honneur. Des îlots qui ne forment même pas un archipel. Et malgré cette faiblesse numérique, sociologique, les discours dans la sono causent quand même de « convergence des luttes », voire de « révolution ». Mais nulle « convergence », pour l’heure. On compte quoi ? À peine dix étudiants, la moitié de profs... Un enterrement en famille, et dans l’intimité.

Le délégué CGT de Goodyear, Mickaël Wamen, est un bon leader. Dans ses ateliers. Dans le périmètre de Goodyear-Amiens-Nord. Parfois, dans les limites de son secteur, l’automobile. Et c’est déjà beaucoup. Mais son message, il est incapable de le passer par-dessus les grilles de l’usine, et par-dessus les barrières sociales. Ainsi, rares furent les tracts diffusés en dehors de la boîte. Aucun document, synthétique, en sept années, ne fut rédigé pour expliquer aux Amiénois, ou aux journalistes, les causes du conflit, le refus des 4x8, les délocalisations dans le secteur, ou pour répondre aux objections écolos, récurrentes et légitimes : « Mais tant mieux si on fabrique moins de pneus, on polluera moins ? » Rien, rien de tout cela, jamais.

Mickaël est malhabile – et le veut-il même ? – à donner à cette lutte un sens plus universel. C’était possible, pourtant. Voire évident. (...)

cette histoire portait en germe une lutte anti-productiviste. Encore fallait-il en dégager le sens à peine caché, le faire éclore, s’épanouir.

Et alors, ce combat « catégoriel », « corporatiste » – car oui, pour les ouvriers, il s’agissait d’abord de ne perdre ni leur santé à eux ni leur boulot à eux – aurait pris une valeur plus universelle, plus politique. Des pans, non prolétariens, du pays se seraient interrogés, auraient rejoint la bataille. On se serait mobilisé non plus pour les Goodyear, par altruisme, par compassion, mais pour nous, pour nous à travers eux, parce qu’ils nous auraient représentés, parce qu’ils auraient incarné l’avenir que nous désirons à tâtons, et celui que nous rejetons. Tout comme des Picards, des Alsaciens, des Lyonnais, se mobilisent à Notre-Dame-des-Landes, non pour préserver le bocage nantais en lui-même, mais parce qu’il incarne un avenir que nous désirons à tâtons, et un autre que nous rejetons, parce qu’à travers lui, nous défendons les campagnes picardes, alsaciennes, etc. (...)

La Voix des industries chimiques a notamment, en plus des appels à manifester, consacré un dossier à « Goodyear Amiens : l’histoire de leur lutte » (août 2012). Le bulletin y retraçait, mois après mois, le « bras de fer entre la direction de la multinationale et un syndicat de masse, de classe », en six pages colorées qui saluent « le courage », « la lucidité », « les valeurs de solidarité », bref, « une victoire historique, exemplaire »... Voilà qui a mis du baume au cœur, sans doute, et il en faut, mais cet enthousiasme n’ouvre aucune piste, n’ébauche aucun argumentaire. (...)

Donner un sens à la lutte, c’est aussi la lutte. C’est un enjeu pour la suite, que cette alliance, un impératif. (...)