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L’Ukraine : le printemps des peuples est arrivé en Europe
Publié dans Le Monde diplomatique - édition polonaise, n° 3 (97), mars 2014.
Article mis en ligne le 30 mars 2014
dernière modification le 26 mars 2014

Le Printemps arabe est arrivé en hiver 2010, dans le voisinage de l’Europe : dans les pays situés sur l’autre rive de la Méditerranée. Quatre ans plus tard, on voit que ce printemps des peuples n’est pas seulement arabe. Également en hiver, il fit irruption en Europe, bien que, pour l’instant, dans les périphéries extérieures de l’Union européenne. Nous ne nous rendions pas compte, probablement, à quel point le processus de l’intégration capitaliste de l’Europe contribuait à l’accumulation explosive des tensions dans ses périphéries proches mais extra-européennes.

C’est encore plus vrai à présent, dans ses périphéries les plus proches, désormais européennes, comme nous l’indique l’Ukraine. Le lien fut cette fois-ci direct, clairement visible : au début, le conflit a éclaté autour de la question de l’adhésion à l’UE. Ce fut le premier mot d’ordre qui a commencé à rassembler les foules, qui fit naître un mouvement social de masse et qui déclencha une énorme tourmente, avec y compris la menace d’une guerre. Pas une guerre civile, contrairement à la Libye ou à la Syrie – bien qu’on y comptait et on y incitait en Russie et dans tous les réseaux de propagande qui lui sont rattachés à travers le monde – , mais une guerre internationale.

Un printemps des peuples surprend toujours. Il arrive dans un pays de façon totalement inespérée, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein. Cependant, il s’avère après coup qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’il soit arrivé précisément là, et pas ailleurs. Il en fut ainsi également maintenant. Sur la carte politique du monde, l’Ukraine est une gigantesque anomalie historique, une déviation par rapport à une certaine « valeur typique » très importante, tout au moins à l’échelle européenne. Voilà que le plus grand pays d’Europe par sa superficie, après la Russie, et un des plus grands par sa population, est un État indépendant depuis 23 ans à peine. Ceci sur un continent où, depuis très longtemps, la « valeur typique » correspond à des États nationaux de toutes les grandes nations, même de celles qui sont infiniment plus petites que la nation ukrainienne. Les anomalies historiques ont ceci de particulier qu’autour d’elles s’accumulent, se déchaînent et s’entrelacent des contradictions les plus diverses, et qui se transforment en poudrières bien plus facilement qu’ailleurs. (...)

Dans un passé pas si lointain, le cauchemar du mouvement altermondialiste et de nombreuses protestations de masse en Europe furent les groupes de combat qui agissaient sans leur accord, en dehors de tout contrôle démocratique, mais au compte de ces mouvements. Quelques soient les sigles sous lesquels ils agissent, ils reproduisent inconsciemment dans leurs pratiques les idéologies d’extrême droite qui prônent la violence. Rien de surprenant à ce qu’ils soient très perméables aux provocations, qu’ils provoquent souvent la répression policière contre les mouvements de masse ou fournissent au pouvoir d’État de précieux prétextes pour les réprimer. Face aux agressions policières très brutales, le Maïdan ne pouvait pas se passer des forces d’autodéfense ; il en avait désespérément besoin. Il était toutefois trop faiblement structuré et consolidé pour pouvoir imposer à n’importe quelle organisation de combat la subordination à son pouvoir social souverain, et éviter ainsi l’apparition du phénomène de milices incontrôlées. Le résultat de cette faiblesse du mouvement fut l’apparition – autour de la barricade stratégique de la rue Hrouchevsky, près du Maïdan – d’une place d’armes dominée par une coalition des commandos d’extrême droite, appelée Secteur de droite.

Un certain nombre d’étranges affaires entoure cette coalition, dont sa perméabilité prouvée aux provocations. (...)

Le rôle très important joué par cette formation ultranationaliste dans les combats avec la police a jeté une ombre brune sur le Maïdan. (...)

C’est un fait que le Maïdan fut le théâtre d’une étonnante alliance du mouvement démocratique de masse avec les milices d’extrême droite. C’est en cela que consiste la deuxième grande contradiction du Maïdan. Pour ce mouvement, c’est un danger mortel. Mais les grands mouvements de masse ne sont jamais prémunis par l’Histoire contre des dangers de toute sorte. (...)

Au sein d’un peuple qui – exposé à une oppression, pression ou agression impérialistes – n’arrive toujours pas à résoudre sa propre question nationale, de telles combinaisons paradoxales, comme ladite alliance, sont au fond inévitables (...)

Une chose est sûre. La nouvelle lame du printemps des peuples contemporain a balayé un régime de plus, dans une longue lutte et au prix de sacrifices extrêmes. Pour la première fois, elle le fit en Europe. C’est un grand événement