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L’Etat et l’inceste
#inceste #justice
Article mis en ligne le 9 septembre 2023
dernière modification le 7 septembre 2023

Je propose que la libération de la parole des enfants victimes de violences sexuelles s’oppose à un processus de silenciation non pas organisé directement par l’Etat, mais indirectement par son incapacité institutionnelle d’accueillir cette parole. Je maintiens donc que l’Etat capitaliste et patriarcal se complaît du silence des enfants victimes.

En guise d’introduction : CNEWS et l’inceste (...)

le plateau de CNEWS. La scène surréaliste qui se déroule sous mes yeux engendre chez moi des affects que je n’aime pas ressentir, entre colère et lassitude. Premièrement, il faut noter la configuration kafkaïenne du plateau : toutes les personnes présentes n’ont respectivement aucune connaissance sur le sujet de l’inceste, ce qui, objectivement, pose la question de la pertinence de leurs propos et de l’intérêt que l’on donne à ce sujet. (...)

A la suite du témoignage de la merveilleuse Emmanuelle Béart, un tour de table traditionnel est proposé par le présentateur pour que chacun puisse exprimer leur ressenti sur cette affaire. Je ne vais pas reprendre chaque propos tenus - la plupart ayant salué le courage de l’actrice -, mais seulement celui qui m’a le plus marqué. Comme souvent, c’est Elisabeth Lévy qui reste la meilleure figure de l’éditorialiste moderne. Je cite ses propos : « Je vais encore me faire critiquer, mais je ne suis pas sûre que le déballage public soit la panacée pour les victimes. Je ne suis pas à l’aise avec le fait que tout le monde puisse s’emparer de votre histoire à leur sauce, je suis réticente avec l’idée que pour partager sa douleur, on doit la partager sur l’espace public. », un propos soutenu par Kévin Bossuet. Si d’autres personnes nuance leur collègue, elle répond : « N’oubliez pas Outreau. Je ne mets pas en doute la parole d’Emmanuelle Béart, mais le cadre du média n’est pas le meilleur. ». Quelques dizaines de minutes plus tard, c’est l’émission « L’heure des pros 2 » avec Pascal Praud. Si l’animateur montre son empathie à l’égard de Mme Béart, sa question, une interrogation simple de journaliste, m’a pourtant littéralement sidéré : « Mais qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ? Est-ce qu’il faut faire de la prévention, est-ce qu’il faut des politiques publiques spécifiques ? ». (...)

Evidemment, la prise de parole publique des personnes ayant vécu l’inceste a une incidence positive sur la société. Par ce geste, l’enfant - parfois devenu adulte - déstabilise la société, il brise un tabou, il dénonce un phénomène que l’on se refuse de voir, il montre aux autres victimes qu’elles ne sont pas seules, il les encourage à parler et à témoigner, et on observe souvent, comme l’a montré le mouvement #metoo, à une augmentation des plaintes pénales.

Ensuite, pour répondre à Pascal Praud, depuis 40 ans un grand nombre d’associations, de collectifs, d’organisations diverses, de militants et de militantes, font des propositions pour lutter contre les violences pédocriminelles, notamment l’inceste, et pour promouvoir les droits de l’enfant. Et ces bourgeois sont encore en train de se demander, en direct à la télévision, ce qu’on doit faire (...)

Ainsi, la réalité sur l’inceste est double : les victimes ne sont pas entendues et les propositions sont négligées. La perpétuation de l’inceste relève donc d’un double mépris : celui des victimes et de celles et ceux qui les défendent.

Pour terminer mon propos sur ce sujet, si manifester de l’empathie envers les victimes et valoriser leur courage n’est pas inutile, bien au contraire, ce que l’on veut aujourd’hui ce sont des prises de position concrètes et des actes politiques. (...)

l’inadéquation entre les besoins en accompagnement et la capacité institutionnelle d’y répondre engendre une sorte de « loterie institutionnelle » dans laquelle certaines personnes pourront être aidées et les autres non. Sans volonté de ma part d’être dans un pessimiste aggravé, l’Etat capitaliste et patriarcal ne pourra jamais mettre en place des structures permettant d’accueillir cette parole massive des victimes. Malgré la capacité de résilience de nombreuses victimes qui réussissent seules, cet État sera toujours dans l’incapacité pour aider des centaines de milliers, voire de millions de personnes par un manque cruel de médecins, de psychologues, de travailleurs sociaux, de soignants, d’avocats, de policiers, de juges etc.

L’exemple le plus parlant est sans doute la prison. (...)