La très grande majorité des économistes considère que le capitalisme s’adapte pleinement aux variations, parfois erratiques, de son environnement. Ainsi, le système s’ajusterait aux « chocs » tant internes qu’externes dans une stratégie essentiellement défensive. Au contraire, j’affirme que pour atteindre son objectif d’exploitation maximale à moindre coût, le système capitaliste déploie une stratégie offensive de façonnage de son environnement. Il impose un ajustement structurel permanent à la société dans son ensemble[1]. Dans sa recherche du profit maximal et de l’asservissement du plus grand nombre, il procède par étapes successives qui façonnent les structures de la société. Chaque phase correspond à une configuration spécifique du rapport social qui prépare la suivante.
Lorsqu’une configuration d’exploitation donnée se révèle moins profitable qu’une autre option, le système modifie l’organisation initiale. Pour ce faire, il mobilise ses agents (ses auxiliaires) dans les domaines politique, littéraire, médiatique, juridique… pour rendre le changement plausible pour les populations. Bien souvent, les raisons mises en avant pour justifier l’ajustement des structures sont d’ordre moral, philosophique, humanitaire… plutôt qu’économique.
La fin du système esclavagiste, objet de ce texte, semble bien répondre à la logique capitaliste de recherche du profit maximal.
L’abolition de l’esclavage dictée par la recherche du profit
Une configuration d’exploitation à la longévité plus que séculaire a été l’esclavage. De nos jours, l’Histoire focalise sur la traite des noirs, surtout atlantique. Souvent présentée comme une victoire des défenseurs des droits de l’homme et de la philosophie des Lumières, l’abolition de l’esclavage apparaît à certains comme un simple ajustement de structure en vue de réduire les coûts d’exploitation pour rehausser les profits.
Le système esclavagiste se caractérise par une faible productivité et des coûts de reproduction élevés qui obèrent sa rentabilité par rapport à un recours à de la main-d’œuvre « libre ». Par exemple, au XVIIIème siècle, la majorité des physiocrates[2] condamne l’esclavage pour des raisons économiques en comparant les « coûts économiques selon que l’on a recours à l’esclavage ou à une main d’œuvre libre[3] ». Sur le plan économique, l’abolition de l’esclavage s’imposait. (...)
Pour mettre fin à l’esclavage, il fallait convaincre les populations et condamner cette pratique en mettant surtout en avant des raisons politiques, philosophiques, religieuses, éthiques… Pour Olivier Pétré-Grenouilleau, « l’abolitionnisme est aussi lié, dès le début, à des formes de sociabilité clubs, académies, cercles… et de mobilisation journaux, pétitions, porte à porte, meetings…. Quasiment partout, l’abolition fut décidée à la suite de longs débats, dans les Assemblées et entre différents groupes de pression. Des débats arbitrés par l’opinion publique et par un État devenu de plus en plus régulateur[9] ».
Ainsi les leaders d’opinion[10] (écrivains, philosophes…), les médias, la « société civile », ainsi que la classe politique ont été instrumentalisés pour façonner l’opinion publique et lui faire accepter, puis réclamer, la fin de l’esclavage. En mettant en avant des raisons « nobles », le système justifie un ajustement structurel qui lui permet de modifier les conditions d’exploitation du facteur travail pour des profits plus élevés. L’État, aux ordres, légifèrera pour l’abolition de l’esclavage comme il l’avait fait pour son instauration.
Contrairement à certaines lectures et analyses humanitaires et normatives de l’esclavage et de son abolition, il apparaît donc que le système capitaliste a provoqué l’abandon de l’exploitation esclavagiste pour des raisons liées au profit. (...)
Dans tous les cas, pour justifier le passage d’une étape à la suivante devant l’opinion publique, le système mobilise ses agents (complices ?) et en instrumentalise d’autres (naïfs ?) pour présenter le changement comme logique, comme un progrès sans alternative.