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Libération
L’« Aquarius » six pieds sous mer
Article mis en ligne le 1er janvier 2019
dernière modification le 30 décembre 2018

Torpillé par l’Italie, lâché par l’Europe, le navire qui secourait les migrants en mer a cessé ses activités le 6 décembre, au terme d’une année marquée par le repli populiste

Ce fut une parenthèse de générosité sur fond de solidarité européenne désenchantée. Entre février 2016 et juin 2018, l’Aquarius, navire de 77 mètres de long affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, a joué les bouées de sauvetage humanitaire en Méditerranée, avant d’être contraint, le 6 décembre, de mettre fin à ses opérations après un lynchage en règle par un pays, l’Italie, et un lâchage tout court de l’Europe.

L’Aquarius a pourtant sauvé de la mort, lors de 177 opérations d’aide et 64 opérations de transbordement, près de 30 000 vies humaines. Quand, en quatre ans, plus de 17 000 hommes, femmes et enfants, selon l’Organisation internationale pour les migrations, ont été avalés par les flots méditerranéens, le plus grand cimetière maritime de la planète. Leur crime : tenter une traversée vers un monde jugé meilleur sur des embarcations d’infortune.

« Miradors aux frontières »
Il y a plus de vingt ans, bien avant la plus grande crise migratoire jamais connue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, le président de la Banque mondiale évoquait dans Libération le risque de voir apparaître « des miradors aux frontières de l’Europe ». Depuis, non seulement l’Europe a renoncé à se donner les moyens de sauver des vies, mais elle a aussi torpillé les tentatives humanitaires citoyennes d’y parvenir. (...)

l’UE, plutôt que de se concentrer sur le trafic humain sur le sol libyen, un temps dénoncé par Emmanuel Macron, a laissé prospérer le travail de sape contre les ONG. Celles-ci ont été accusées tour à tour de complicité avec les passeurs ou de pollution. Pire : plutôt que de mettre en branle le plan d’accueil concocté par la Commission, les Etats, dans leur hypocrite frilosité doublée de cynisme, se sont mis au diapason du sentiment anti-migrants attisé par des angoisses xénophobes. (...)

« Exodus 1947. 2018 Aquarius », a tweeté Edgar Morin en juin. (...)

En accompagnant l’Aquarius au cimetière des idéaux, les Etats européens foulent au pied ce que Kant formulait, en 1795, comme un rêve d’égalité et de justice : que toute violation du droit commise en un seul lieu soit ressentie partout ailleurs.

Pour y croire encore, il reste une poignée d’organisations issues de la société civile qui tentent de sauver l’honneur de l’Europe et, surtout, des vies humaines : Sea Watch, Mare Jonio, Proactiva Open Arms ou les survols de Moonbird ou de Colibri. Contre vents et marées. (...)