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Karim : ouvrier, lanceur d’alerte, viré
Article mis en ligne le 5 mai 2018

En juin 2017 éclatait le scandale des supposés déversements illégaux d’acide d’ArcelorMittal à Florange. Dans une vallée où plane l’ombre du géant de l’acier, où en est l’enquête ? Comment réagissent les élus ? et, surtout, comment évolue la situation de Karim Ben Ali, le lanceur d’alerte licencié après ses révélations ?

(...) Lorsqu’on l’a rencontré pour la première fois, en mars dernier, Karim Ben Ali, 36 ans, n’avait plus les moyens de payer son loyer. La situation de ce père de trois enfants, chauffeur de poids lourds depuis ses 19 ans, actuellement sans travail et au RSA, n’est pas sans lien avec le tollé médiatique provoqué par la publication de l’une de ses vidéos en juin 2017. Intérimaire, Karim s’est filmé, en décembre 2016, en train de déverser un liquide vert fluorescent — de l’acide, dit-il alors — directement dans la boue du crassier de Marspich, en Moselle, pour dénoncer les pratiques imposées par ArcelorMittal Florange et son sous-traitant, Suez RV Osis Industrial Cleaning.

Karim transportait des matières corrosives et de l’acide chlorhydrique en solution. C’est ce qu’indiquent les nombres figurant sur la plaque d’identification située à l’arrière de son camion : 80 et 1789 correspondant au code danger et au code matière, codes enregistrés par l’ONU. Cette plaque, Karim la dévoile dans une vidéo inédite, qui n’a jamais été publiée sur Internet. On peut toutefois en voir un extrait dans le documentaire « Pollution : Alertes citoyennes sur le net » diffusé sur Planète + Crime investigation, le 2 avril 2017. « Sur les quatre vidéos que j’ai prises, une seule a fait le buzz. Les trois autres ont été saisies par la police judiciaire », nous révèle Karim.

Censé être détruit à Amnéville, au centre de traitement Cedilor appartenant à Veolia, cet acide aurait donc été déversé dans la nature. (...)

Pendant que sa vidéo fait le tour du monde, Karim est blacklisté des agences d’intérim, s’attire les foudres du groupe coté au CAC 40. À la suite des inhalations de fumées toxiques, il perd le goût et l’odorat, développe des ulcères aux yeux. Sous la pression, il sombre dans la dépression et est hospitalisé deux mois et vingt jours…

Onze mois après ses révélations, où en est l’affaire ? Des déversements d’acide ont-ils été avérés ? Étaient-ils réguliers ? Les autorités publiques ont-elles enquêté ? Beaucoup de questions restent en suspens. Le parquet de Thionville n’a toujours pas bouclé son enquête judiciaire. Contactée, la procureure n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pas davantage que la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) (...)

Autre révélation du documentaire de Pedro Brito Da Fonseca : un nouveau témoin confirme la version de Karim [2]. « L’acide souillé, je l’ai fait aussi. Si j’avais besoin de faire une rétention quand j’étais d’astreinte à la cokerie, ça finissait au crassier. » Face caméra, Yvan affirme que les déversements d’acide étaient réguliers sur le crassier déjà entre 2004 et 2010, période durant laquelle il travaillait comme intérimaire pour des sociétés de transport. « Je vois encore cet opérateur me dire avec un grand sourire : “Tu fermes ta gueule, hein !” C’était dit gentiment, mais ça voulait dire ce que ça voulait dire. »

Comment les élus locaux réagissent-ils face à ces nouvelles révélations, qui mettent en cause le principal employeur de la vallée ? « Pour le peu que le maire de Florange m’a reçu, raconte Karim, c’était pour me faire le reproche qu’à cause de la peur des déversements d’acide, il n’y avait plus d’investissement dans l’immobilier. » Des propos que nous aurions bien voulu confronter auprès du premier intéressé, Rémy Dick, jeune premier magistrat de la ville qui détient le record de France de la concentration de benzo[a]pyrène — un polluant cancérigène — dans l’air. Mais nos demandes d’entretien sont restées lettres mortes. (...)

La députée insoumise a par ailleurs mené avec son équipe parlementaire un travail de l’ombre auprès d’élus locaux et de bailleurs sociaux afin d’aider Karim à retrouver un logement pour lui et sa famille. La France insoumise du Val-de-Fensh, quant à elle, est en train de créer un premier comité de soutien. Parallèlement, une page Facebook et une cagnotte en ligne ont été créées pour soutenir Karim dans son combat. Dans un courrier rendu public destiné à la procureure, une vingtaine de personnalités, dont de nombreux lanceurs d’alerte (Denis Robert, Irène Frachon, Antoine Deltour…), font part de leur étonnement « des délais et retard pris, notamment pour les résultats des analyses des prélèvements ».

Après s’être longtemps senti seul face à un géant, isolé politiquement, le vent semble enfin tourner en faveur Karim.