
Nous, juges des enfants du Tribunal de grande instance de Bobigny, souhaitons alerter sur la forte dégradation des dispositifs de protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis. Juges des mineurs délinquants, nous sommes, aussi, juges des mineurs en danger. A ce titre, nous devons répondre à l’exigence de protection des enfants, parfois très jeunes, que leur situation familiale met en péril : violences physiques, sexuelles, psychologiques, délaissement parental, négligences dans les soins et l’éducation.
La loi nous permet, dans les cas où une séparation s’impose, de retirer l’enfant de son milieu familial. Elle nous permet aussi d’ordonner des mesures d’investigation ou d’accompagnement éducatif qui permettent, lorsque la situation s’y prête, de la faire évoluer favorablement en maintenant l’enfant dans sa famille, tout en veillant à son bon développement et à son insertion scolaire et sociale.
Les mesures d’assistance éducative, exercées pour la plupart par le secteur associatif habilité, sont actuellement soumises à des délais de prise en charge inacceptables en matière de protection de l’enfance : il s’écoule jusqu’à dix-huit mois entre l’audience au cours de laquelle la décision est prononcée par le juge des enfants et l’affectation du suivi à un éducateur. Près de 900 mesures, soit 900 familles, sont en attente. Nous en connaissons les raisons : un manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires, dans un contexte où la dégradation des conditions du travail éducatif et social en Seine-Saint-Denis rend plus difficiles les recrutements.
Le secteur associatif n’est pas le seul en difficulté. Dans les circonscriptions d’action sociale, les éducateurs du Conseil départemental, en sous-effectif eux aussi, ne parviennent plus à assurer correctement les missions de l’aide sociale à l’enfance : accompagnement des enfants placés et de leurs familles, prise en charge des traumatismes et organisation des visites médiatisées... (...)
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les quinze juges des enfants du tribunal de Bobigny lancent un « appel au secours » face à l’état de la justice des mineurs en Seine-Saint-Denis. (... ;)
« de l’autre côté du périphérique, la prise en charge des mesures éducatives judiciaires se fait sans délai, ce qui crée une inégalité inadmissible de réponse aux difficultés des familles. »
« Nous sommes devenus les juges de mesures fictives », poursuivent-ils. Pourtant, les « enjeux sont cruciaux pour la société de demain » : « des enfants mal protégés, seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. Ce seront davantage de coûts sociaux, de prises en charge en psychiatrie, et ce n’est plus à prouver, de passages à l’acte criminel. »
« Un appel au secours »
« Notre alerte est un appel au secours », concluent-ils.
Dans la tribune, « ce sur quoi mettent l’accent essentiellement les juges des enfants c’est sur […] la protection de l’enfance en danger », a réagi sur France Inter, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. « Je ne nie pas la responsabilité de l’État, mais je dis que la mise en œuvre des décisions de nature civile, cela appartient au département », a-t-elle ajouté.
Au tribunal de Bobigny, « il y a eu 8 postes de magistrats supplémentaires par rapport à 2016 et il y a eu une affectation de 19 greffiers supplémentaires », a-t-elle ajouté. « Après, c’est au président du tribunal de savoir où il les affecte dans son tribunal ».