
Cet hiver, le danseur étoile de 26 ans s’est mis en grève pour s’opposer à la réforme des retraites. Parfait produit d’un système fondé sur l’excellence, il revendique ses opinions orientées à gauche.
Ce 7 février, quelques secondes avant le début du spectacle, une voix enregistrée fait taire le bruissement de la salle. « Mesdames et messieurs, pendant plus de quarante-cinq jours, les rideaux de nos théâtres ne se sont pas levés. Il s’agit du plus long mouvement social de l’histoire de l’Opéra. Pour préserver notre lien avec vous et pour préserver l’intégrité économique de l’Opéra, nous avons pris, collectivement, la décision d’assurer le spectacle de ce soir. Mais nous restons mobilisés pour le retrait de ce projet de loi. » Une partie du public applaudit, des sifflets s’élèvent, ceux des partisans de la réforme des retraites. De l’autre côté du rideau, les danseurs s’efforcent de se concentrer sur leurs échauffements, perturbés par les huées reçues comme des gifles. Parmi eux, Germain Louvet, étoile de 26 ans, beauté athlétique et insolente, s’apprête à incarner Albrecht dans Giselle. En pointe dans l’opposition au texte gouvernemental, il a, ce soir-là, délaissé les banderoles pour revêtir à nouveau collant et chaussons. Dans l’après-midi, le personnel de l’Opéra a décidé en assemblée générale de jouer sans avoir remporté le combat : leur ministre de tutelle, Franck Riester, leur a donné l’assurance qu’ils pourront continuer à partir à la retraite à 42 ans, mais rien n’a été signé. « Du fait de la surdité du gouvernement, la grève commençait à perdre de son sens pour certains, admet Louvet. En annulant des spectacles, on n’embête pas grand monde à part nous-mêmes et une partie du public bourgeois qui vote Macron. » (...)
Il sait bien que la bataille de la communication n’est pas aisée, que les danseurs de l’Opéra font figure de privilégiés avec un régime spécial alors que les danseurs des autres compagnies privées comme publiques n’ont droit à rien. Il connaît les chiffres et combien a coûté la grève. (...)
D’une voix posée, il refuse le « discours culpabilisateur du gouvernement », qui a martelé le montant astronomique des 17 millions d’euros perdus pour cause de grève (75 représentations annulées). « Pour un danseur, ne pas danser est un crève-cœur, assure-t-il. Si on obtient quelque chose, c’est grâce au mois de grève. Le mouvement aurait été moins long si le gouvernement avait mieux préparé le dossier. La responsabilité de la grève est partagée par tous les acteurs. » Tombez le rideau.