
Gainsbourg est mort ? Beaucoup d’hommages célèbrent la grande artiste ou la femme engagée. Mais la figure de Serge Gainsbourg est omniprésente. Muse / Pygmalion… De quoi entretenir le répartition des rôles : l’homme est créateur, la femme est sa créature.
Le documentaire de sa fille Charlotte « Jane par Charlotte » paru en 2021 est sans doute le plus bel hommage rendu à l’artiste qui s’est éteinte le 16 juillet. « Ces mots ont une résonance encore plus profonde aujourd’hui » écrit Charlotte Gainsbourg sur Twitter en commentant un extrait de son film à la fois intime et pudique.
Chanteuse, actrice, scénariste, réalisatrice, Jane Birkin s’est aussi essayée au théâtre récemment. Beaucoup de journaux célèbrent ses multiples talents et la présentent seule en Une. (...)
Mais très vite, Serge Gainsbourg apparaît et prend parfois toute la place. Dans « La vie secrète des chansons », rediffusé sur France3 le 17 juillet, Jane Birkin prédit au micro d’André Manoukian que, quand elle « cassera sa pipe », tous les journaux parleront de la chanson qu’il lui avait demandé d’interpréter et qui avait fait scandale en 1973. Elle avait bien-sûr vu juste. Dès son article annonçant la mort de Jane Birkin, BFMTV par exemple écrit dans son chapeau : « L’interprète de « Je t’aime moi non plus », éternelle muse de Gainsbourg… ».
S’il est normal d’évoquer cette chanson qui a marqué son époque, il est plus gênant de voir la vie de cette artiste se résumer à cela et surtout à Serge Gainsbourg, présenté comme son pygmalion, son double, son créateur. Elle serait seulement « sa muse »… Elle s’est séparée de lui il y a quarante ans et a elle a eu une très riche carrière depuis. Pourtant, Gainsbourg est souvent au centre des portraits de Jane Birkin.
Si Libération titre sobrement « Sans Jane », la une du journal parle de Serge Gainsbourg, « son double » dans son chapeau. Nombre de journaux évoquent l’histoire du « couple glamour » plus largement que celle de Jane Birkin. (...)
Sur les réseaux sociaux, l’ex-dessinateur vedette du Monde, Plantu, a caricaturé Serge Gainsbourg confortablement assis sur un gros nuage et une petite Jane Birkin, souriante et légère, panier en osier au bras, soufflant « Je suis venue te dire que je reviens ».
Un autre dessinateur, Chaunu, a eu la même idée pour le quotidien Ouest-France. (...)
Comme si une femme ne pouvait avoir d’existence dans la sphère publique que par la grâce du désir d’un homme.
« Nous ne sommes pas que des muses » clament régulièrement les organisatrices des « journées du matrimoine ». -qui veulent célébrer les femmes artistes oubliées par « les journées du patrimoine ». Les femmes artistes n’en finissent pas de dénoncer, dans les expositions de peinture ou de photo, des œuvres d’art créées par des hommes montrant des femmes nues… et très peu d’oeuvres de femmes.
Il est temps de cesser de considérer que l’homme est créateur et la femme est sa créature. Cesser de considérer que l’homme est sujet désirant et la femme objet de désir. (...)
– (ligue des droits de l’homme)
Jane Birkin, femme sensible, artiste rayonnante, citoyenne engagée
La LDH (Ligue des droits de l’Homme) salue avec émotion Jane Birkin, morte le 16 juillet 2023 à l’âge de 76 ans.
C’était une femme sensible et vibrante. Reste d’elle bien sûr son extraordinaire histoire d’amour, humaine et artistique, avec Serge Gainsbourg, avec ce lien unique qui survécut aux déchirements et resta si fécond, mais aussi ce qui lui appartenait en propre, cette capacité non moins unique d’allier le courage et la fragilité, le sourire et les larmes, la transparence et la pudeur, la séduction et l’humanité.
C’était aussi une artiste rayonnante, comme chanteuse et musicienne – avec Serge Gainsbourg évidemment, mais aussi avec MCSolaar, Miossec, Alain Souchon, Djam et Fam, Etienne Daho et tant d’autres – et tout autant comme actrice – César de la meilleure actrice en 1985, elle a tourné avec Michelangelo Antonioni, Roger Vadim, Jacques Doillon, Jacques Rivette, Alain Resnais, James Ivory, Jean-Luc Godard, Agnès Varda… et a joué sous la direction de Patrice Chéreau au théâtre.
C’était enfin une citoyenne engagée, qui ne nous en était que plus chère.
Elle l’a prouvé non seulement dans son art qu’elle voulait cosmopolite, mais aussi dans ses choix d’expression publique. Elle a défendu Aung San Suu Kyi persécutée en 1991, et Christiane Taubira racisée en 2013. Elle a protesté pour la Tchetchénie… y compris en lui dédiant un concert à Moscou en 2002. Après Fukushima en 2011, elle a donné une série de concerts de soutien au Japon où on ne l’a pas oubliée. Et elle était bien sûr des nôtres, notamment le 27 avril 2002 « 100% contre Le Pen » et aussi lorsque la FIDH commémorait le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) le 8 décembre 2008.
Jane Birkin était une combattante sans dérobade, une militante de l’humain. Nous sommes fiers de l’avoir côtoyée et aimée, nous ne l’oublierons pas.
Paris, le 19 juillet 2023