
Dix policiers en poste à la Bac de nuit de Nancy jugés pour harcèlement moral et injures non-publiques à caractère raciste. Pendant des années, cette « meute » a terrorisé plusieurs membres de sa propre brigade. Récit.
« Ils m’ont réduit à néant. Jamais je n’aurais imaginé cela de leur part, même dans mes pires cauchemars. » Ces mots, ce sont ceux prononcés à la barre du tribunal correctionnel de Nancy (54) par le brigadier Saïd B., petit costaud au crâne rasé et premier à avoir déposé plainte contre ses collègues. Pourtant, quand il arrive le 1er avril 2017 à la Bac de nuit de Nancy, après avoir fait ses classes pendant sept ans à la Bac de Courbevoie (Hauts-de-Seine), Saïd B. a été plutôt « bien accueilli ». Peut-être parce que ceux-ci sont trop occupés à « mettre en quarantaine » un autre gardien de la paix de la brigade. À son départ pour un autre service, ce dernier prévient Saïd B. :
« Pars, tu ne seras jamais accepté. C’est un panier de crabes, ils vont te broyer. »
« Ils », ce sont le brigadier-chef Willy L. et le brigadier Laurent M., qui ont pris le commandement de la Bac de nuit par intérim depuis janvier 2017, suite au départ du précédent chef. Avec huit autres fonctionnaires de ce service, ils sont renvoyés devant la justice pour harcèlement moral au travail et injures raciales. La bande fonctionnait selon une logique de « meute » où la xénophobie virulente et les manœuvres malveillantes allaient bon train. Récit de plusieurs années de dérives au sein d’une unité sous emprise. (...)
Bouc émissaire
Si la force de la Bac, c’est le groupe, eux ont décidé de choisir le leur, imposant à l’unité leur politique informelle de recrutement : « Ni bougnoule, ni gonzesse », comme l’a résumé un policier durant l’enquête de l’IGPN. Le brigadier Laurent M. décrit par beaucoup comme un « leader charismatique malveillant », s’était « imposé comme chef de meute, fédérant les effectifs autour de lui afin de les entraîner dans une spirale de harcèlement à l’encontre de celui ou celle qui n’adhérait pas à ses idées ou à sa façon de travailler. » (...)
Quelques semaines après son arrivée, Saïd B. devient le nouveau bouc émissaire du service en raison de ses origines maghrébines. À la barre du tribunal, il égrène ce qui a forgé son « sentiment de rejet ». (...)
« Des messages de haine comme je n’en ai jamais vu »
Et puis, il y a ce groupe de discussion privée sur Messenger, créé quelques semaines après son arrivée, sur lequel ni lui, ni Paul de R. n’ont été invités. Si les membres de la meute plaident qu’il a été « créé au départ pour jouer à des jeux Facebook » c’est aussi dessus qu’ils s’en donnent à cœur joie pour insulter leur chef et le traiter de « con », « connard » ou « abruti » ainsi que pour déverser leur humour raciste à l’égard de leur collègue d’origine maghrébine. (...)
Face aux trois juges, les policiers tentent de minimiser en parlant de « gamineries ». La conversation Messenger ? « Des bêtises. » Les mots sur son casier ? « Des boutades pour rigoler. » « Voldemort » ou « couscous » pour s’adresser à lui ? « Juste un surnom. » (...)
la plupart d’entre eux refusent catégoriquement de parler de harcèlement. Ils se défendent, en affirmant que leurs collègues n’ont « jamais fait état de leur malaise et encore moins de suicide » s’offusquant presque qu’on leur pose la question :
« S’ils allaient mal ils n’avaient qu’à se mettre en arrêt. »
Les réquisitions du procureur de la République sont attendues mardi 15 mars. (...)