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Industrie des biotech : le forcing politique
#biotechnologies #commissioneuropéenne #lobbys #agriculture
Article mis en ligne le 11 août 2023
dernière modification le 10 août 2023

Avec une accélération notable à partir de 2018, l’industrie des biotechnologies a financé une partie du monde de la recherche pour obtenir, sous couvert de « consensus scientifique », une révision de la réglementation appliquée aux OGM. Ce travail a permis de donner un blanc-seing « selon la science » à la récente proposition de déréglementation des OGM de la Commission européenne.

Le 5 juillet dernier, la Commission européenne a publié une proposition de règlement qui a pour objet de soustraire un grand nombre d’OGM, dont ceux issus des nouvelles techniques de modification génétique, aux règles actuellement applicables aux OGM [1].

Cette proposition intervient près de cinq ans après un arrêt important de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En 2018, la Cour a en effet jugé que les organismes issus des nouvelles techniques de modification génétique sont des OGM et sont soumis aux obligations d’évaluation préalable des risques, d’étiquetage, de traçabilité et de suivi post-commercialisation [2]. Ces techniques, a expliqué la Cour, n’ont pas été « traditionnellement utilisées pour diverses applications » et leur sécurité n’est pas avérée depuis longtemps. Elles permettent de produire des OGM à une vitesse bien plus importante que ce qu’il était possible de faire avec les techniques traditionnelles principalement développées avant 2001, année d’adoption de la directive européenne sur les OGM. Ces organismes peuvent en outre franchir les frontières et se reproduire, avec des conséquences irréversibles pour l’environnement et la santé humaine.

L’arrêt de la Cour va frontalement à l’encontre de l’argument défendu par les multinationales des biotechnologies. (...)

A la suite de l’arrêt de 2018, une partie du monde de la recherche, très liée à l’industrie des biotechnologies, s’est activée pour parvenir, sous couvert de « consensus scientifique », à une révision de la réglementation applicable aux OGM. (...)

Il est donc reproché à l’arrêt de la Cour de justice de ne pas être « scientifique ». Une critique inquiétante car le juge doit se préoccuper seulement du fait de savoir si son argumentation et sa décision sont fondées en droit. Si les décisions de justice devaient être scientifiques, imagine-t-on confier aux scientifiques la fonction de juger et de dire le droit ? N’était-ce pas l’objectif de certains positivistes du XIXe siècle, dont le fondateur de la socio-logie (science de la gestion des sociétés) ? Et comment fonder une décision de justice sur des sciences qui, par définition, sont le produit de controverses et n’avancent qu’en dépassant ou en reniant de plus en plus rapidement les résultats scientifiques passés ?
La création d’un « consensus » scientifique

Quoi qu’il en soit, les réactions de ces scientifiques à l’arrêt de la Cour de justice rappellent un fait incontestable : la législation applicable aux OGM est pénétrée par la science. Cette caractéristique n’est pas propre au droit des OGM. La technicité croissante s’observe dans la plupart des branches du droit. Cette caractéristique a néanmoins pour effet de donner à la parole scientifique un poids et une valeur prépondérants. La science devient ainsi un enjeu sujet à instrumentalisation.

Plusieurs organisations scientifiques liées à l’industrie des biotechnologies ont, peu après l’arrêt de la Cour de justice, recommandé aux institutions de l’Union européenne une révision de la réglementation OGM et proposé leur aide dans la rédaction du futur texte. (...)

En accord avec la position défendue par les multinationales des biotechnologies, ils appellent à faciliter l’utilisation des nouvelles techniques de modification génétique dans l’agriculture. La multiplication des déclarations émises par divers organismes de recherche publics créée une fausse impression d’unanimité de la communauté scientifique (...)

La démission du politique

La contre-partie du poids prépondérant de la parole scientifique est la démission du politique, qui peut alors s’abriter derrière une prétendue neutralité scientifique. En mars 2019, Vytenis Andriukaitis, alors commissaire à la santé, a par exemple affirmé que « nous avons besoin d’un nouveau cadre réglementaire pour ces nouvelles techniques ». L’Europe, a-t-il insisté, doit écouter la science [16]. Difficile de ne pas entendre la voix des lobbys derrière une telle affirmation, compte tenu des nombreux échanges officieux qui ont eu lieu entre la Commission et les tenants des biotechnologies et de la déréglementation (...)

Et l’intérêt général dans tout ça ?

La place de la science dans le débat sur les OGM donne aux citoyens un sentiment d’illégitimité et d’incapacité à comprendre et à participer au débat. La conséquence, c’est que des questions fondamentales qui méritent un débat public sont occultées : quel type d’agriculture voulons-nous ? Qui profite des investissements publics dans la recherche, investissements qui passent majoritairement par une obligation de partenariat public-privé ? Au détriment de quoi, de qui et à quel terme ? Les décisions favorisent-elles la biodiversité ou la privatisation du vivant ? Améliorent-elles la qualité de vie d’une majorité de la population ou d’une minorité ? Transforment-elles les paysans en consommateurs passifs de l’innovation, de la recherche et de la technologie ou leur donnent-elles une autonomie pour déterminer eux-mêmes quel type de culture correspond le mieux aux caractéristiques de leur terroir, à la demande sociale et à leurs propres choix ? Quels peuvent être les effets de l’introduction massive d’OGM sur l’organisation des systèmes vivants (écosystèmes) et sociétaux (agriculture-alimentation) ? Peuvent-ils les absorber sans se déstabiliser ?

Autant de questions que la Commission européenne n’a pas jugé bon de poser aux citoyens européens en amont de sa proposition de déréglementation des OGM. Il est urgent d’en débattre, même si on n’a pas de thèse en biologie moléculaire. (...)

La science n’a pas qu’une seule voix

Les scientifiques réunis au sein du réseau Européen de Scientifiques pour une Responsabilité Sociale et Environnementale (ENSSER) [21] appellent à ce que les plantes issues des nouvelles techniques de modification génétique soient considérées comme des OGM et soumises à la même réglementation. A travers diverses études, ils démontrent que ces techniques ne permettent pas de contrôler les conséquences involontaires, imprévues et potentiellement dangereuses. Selon ces études, les risques liés aux OGM issus des nouvelles techniques sont tout aussi importants, voire plus, que ceux liés aux techniques OGM antérieures. Par conséquent, concluent-ils, il est nécessaire de procéder à une évaluation approfondie et scientifiquement indépendante des risques. Récemment, une chercheuse américaine qui a mis au point la tomate génétiquement modifiée Calgene dans les années 90, a affirmé que les effets non intentionnels des nouvelles techniques doivent être reconnus par les chercheurs, tout comme le fait que ces techniques comportent d’autres imprécisions non encore connues. Elle appelle à faire preuve de précaution et à ne pas proférer de mensonges par omission [22].