Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Il y avait les 1.000 vaches. Voici la ferme-usine des 4.000 veaux
Article mis en ligne le 7 octobre 2017
dernière modification le 6 octobre 2017

Après la ferme-usine des 1.000 vaches, celle des 4.000 veaux ? C’est ce qui se dessine au cœur du Charolais, où un agriculteur prépare un centre géant de jeunes bovins destinés à l’exportation. La filière bovine soutient le projet mais militants, paysans, et riverains se mobilisent contre lui.

Ici s’installerait la « ferme des 4.000 bovins », à Digoin (Saône-et-Loire), dans les bocages du Charolais. Plus précisément, ce seraient jusqu’à 3.910 jeunes bovins mâles — plus tout à fait veaux, pas encore taureaux — qui pourraient être parqués en même temps, en attendant d’être exportés. Récupérés auprès des éleveurs de la région, ils seraient mis en quarantaine, resteraient là environ cinq semaines, avant de repartir en camion puis par bateau. En tout, près de 30.000 bêtes pourraient transiter là chaque année. Ce projet est une première en France.

9 à 14 passages de camion par jour

Une affichette, plantée à l’entrée de la ferme et annonçant une enquête publique, a alerté les habitants du quartier attenant. Leur mobilisation a été immédiate. « Déjà aujourd’hui, en petite journée, ce sont dix à quinze camions qui passent », explique Bertrand Paire, agriculteur voisin. Il est président d’une toute nouvelle association, Bien vivre au bord de l’Arroux. Venus à une dizaine au rendez-vous avec Reporterre, ses membres racontent en cœur les nuisances qu’ils éprouvent déjà. (...)

« J’ai acheté ma maison il y a 20 ans. Il y avait des tracteurs, des camions, mais c’était normal, raconte une riveraine. Mais maintenant, l’été, on ne peut même plus manger dehors à cause des odeurs. » La poussière et la paille envahissent en continu jardins et terrasses. Rencontrée un peu plus tard à la mairie, où se tient l’enquête publique, Patricia, dont les fenêtres donnent sur les bâtiments existants de la ferme, évoque « le bruit continuel, même la nuit ». Les passages de camion font hurler les chiens jour et nuit, les veaux crient à cause de la séparation de leur mère… « Et les mouches ! On est à la campagne, d’accord, mais quand on voit ce qu’on a déjà ! » (...)

Dans le dossier monté pour l’enquête publique, Daniel Viard présente son exploitation comme étant à « énergie positive ». Il a effectivement couvert ses bâtiments de panneaux photovoltaïques. Et il annonce moins de nuisances : l’activité de transport de matériaux devrait diminuer, et donc le nombre de camions. Par ailleurs, il explique vouloir aménager un nouvel accès, par l’arrière, qui éviterait les habitations. Cela fait rire ses voisins : « Il s’agit d’un chemin de terre à élargir pour faire passer des camions, alors qu’une bonne partie des terrains attenants ne lui appartiennent pas ! » expliquent les frères Paire. Le conseil municipal de la commune voisine, par laquelle passe le chemin, s’est d’ailleurs prononcé contre cet aménagement.

« Le bien-être animal n’est pas du tout évoqué » (...)

la Confédération paysanne de Saône-et-Loire pointe la sous-estimation de la quantité de fumier ou de l’eau nécessaire à l’abreuvement des bovins. Elle s’interroge aussi sur l’espace laissé aux bêtes : une fois retirés les couloirs d’alimentation et les autres aménagements, il ne resterait plus environ que 3 m² par tête de bétail quand les deux bâtiments seraient remplis. Le personnel prévu — seulement deux salariés supplémentaires pour 4.000 bovins — lui paraît aussi insuffisant.

« Le bien-être animal n’est pas du tout évoqué », note également Agathe Gignoux, chargée de campagne au CIWF France, ONG défendant le bien-être des animaux d’élevage. « Le nombre d’animaux prévu par camion ne paraît pas réglementaire. Rien n’est indiqué au sujet des soins prodigués aux animaux avant et pendant le transport. » Une enquête de l’association a récemment montré les nombreuses souffrances des animaux pendant cette étape.

Plus largement, ce projet leur apparaît comme l’aboutissement des incohérences de la filière de la viande bovine en France. (...)

Coopératives agricoles, chambre d’agriculture et syndicats agricoles majoritaires de Saône-et-Loire (FDSEA et Jeunes Agriculteurs 71) se sont unis pour déposer un avis favorable auprès du commissaire-enquêteur. « Si le secteur de l’élevage charolais connaît depuis de nombreuses années une crise économique profonde, le commerce d’animaux constitue un axe de développement répondant à la fois à une tradition économique ancrée sur le territoire, mais aussi à des demandes fortes de la part de pays très intéressés par la qualité de la viande charolaise », soulignent-ils.
« Le consommateur français aime les génisses, mais pas les mâles, il faut donc trouver des marchés, explique Christian Bajard, président de la section bovine de la FDSEA 71. 4.000 bêtes, cela correspond à un bateau, cela permet d’avoir un lot de bovins présentant le même état sanitaire. » « On a besoin de ce centre, confirme Alexandre Berthet, négociant-exportateur de bovins. On s’effraie pour 4.000 têtes, mais nous avons des clients en Turquie qui ont 40.000 bovins répartis dans 7 ou 8 bâtiments sur un seul site ! » (...)

Une belle unité qui s’effrite en coulisses. « Les broutards, c’est comme les enfants. Dans une classe, quand y’en a un qui chope des poux, au bout d’une semaine, ils en ont tous », confie un « maquignon » — négociants en bovins - à Reporterre. « Il vaut mieux faire une vingtaine de centres avec moins de bovins, cela fait vivre plus d’agriculteurs et, en cas de problème, c’est plus facile à gérer. » Un autre confirme : « Vous ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier : quand une bête est positive à une maladie, tout le lot risque d’être recalé. Vous imaginez la perte économique si cela arrive à 4.000 têtes à la fois ? »
Un montage financier... confidentiel

D’ailleurs, le montage financier n’a pas été rendu public, mais déposé sous pli confidentiel à la préfecture de Saône-et-Loire. Seules informations : les panneaux photovoltaïques ont financé une partie des bâtiments. Mais quid du reste à charge ? (...)

Le conseil municipal de Digoin, de son côté, a fait savoir qu’il ne soutenait pas le projet. Le temps que le commissaire-enquêteur rende son avis — uniquement consultatif — et que la préfecture de Saône-et-Loire examine à son tour le dossier, le préfet devrait se prononcer au printemps 2018.