
Syngenta, le géant suisse des semences et des pesticides, a réussi à éviter des poursuites judiciaires par la simple dissolution de l’une de ses filiales. Il avait enfoui dans le sol des semences avariées. Les apiculteurs voulaient le poursuivre. Impossible !
Une société peut-elle disparaître du jour au lendemain afin d’échapper aux poursuites judiciaires ? C’est la question qui se pose, après le procès qui s’est tenu mardi 18 et mercredi 19 octobre devant le Tribunal correctionnel de Paris. Il a opposé syndicats d’apiculteurs et associations de défense de l’environnement à… un simple agriculteur. Mais celui qui aurait dû être le principal accusé, le géant suisse des pesticides et des semences Syngenta, était absent. A peine son avocate a-t-elle pointé le bout de son nez en début de séance, pour demander au tribunal de constater l’abandon des poursuites.
Une longue enquête
L’affaire remonte à l’année 2002. Maurice Caudoin, apiculteur dans le Lot-et-Garonne, découvre qu’un agriculteur voisin répand dans ses champs d’importantes quantités de semences de maïs fournies par Syngenta, déclarées déclassées, invendables. « Ils appellent cela le semis haute densité », note l’apiculteur. Une fois que les grains ont germés, les pousses sont enfouies, faisant office d’engrais dans le champ. La technique permet d’éliminer à coût moindre des graines qui sinon devraient être incinérées.
Mais pour Maurice Caudoin, il s’agit d’un stratagème pour se débarrasser de produits dangereux à bas coût. Car ces semences sont enrobées « de produits chimiques désastreux pour les abeilles », note l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), qui énumère : « Imidaclopride (Gaucho), Fipronil (Régent), Méthalaxyl, Anthraquinone, Fludioxonil. » Les molécules actives dans le Gaucho et le Régent sont les néonicotinoïdes, des pesticides dont l’impact sur la mortalité des abeilles a étéplusieurs fois décrit dans des études scientifiques.
Maurice Caudoin s’est donc inquiété de cette source de pollution. « J’ai porté l’affaire auprès de la préfète », se souvient-il. Une plainte est par ailleurs déposée par l’Abeille Gasconne, syndicat local d’apiculteurs, avec le soutien de l’Unaf, et de l’association France Nature Environnement. (...)
Mais le 21 novembre suivant, cinq jours plus tard, Syngenta Seeds Holding est dissoute, tout son patrimoine est transféré à Syngenta France. La filiale du géant de l’agrochimie demande l’extinction des poursuites.
S’ensuivent plusieurs rebondissements. La dissolution est d’abord annulée par le Tribunal de commerce de Versailles en 2015, puis à l’inverse confirmée par la Cour d’appel de Versailles. Il a donc suffit à Syngenta Seeds de disparaître au profit de sa société mère pour échapper au procès. (...)
Pour Maurice Caudoin, moins que la justice, c’est la loi qui est en cause, « car elle permet à une société d’échapper à la justice par une dissolution fictive. Le risque, ce serait par exemple que Monsanto disparaisse au profit de Bayer [ce dernier a racheté le groupe Américain récemment - NDR] pour échapper à de multiples poursuites. »
Mais il se félicite tout de même d’avoir lancé l’alerte, car « cette pratique n’aura plus lieu. La Fédération française des semences a elle-même considéré qu’il fallait abandonner cette façon d’éliminer les semences déclassées ».