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Le Grand Continent
« Il nous faut parler de stratégie », une conversation inédite avec Mohamed Bazoum, président du Niger séquestré par la junte
#Niger #MohamedBazoum #ecole #Afrique
Article mis en ligne le 15 août 2023
dernière modification le 14 août 2023

Le 26 juillet 2023, le Président Bazoum a été séquestré avec sa famille par sa garde présidentielle. Depuis, une junte s’est installée à la tête du Niger, sans définir ses intentions, déstabilisant toute la région sahélienne. Quelques semaines avant ces événements, Mohamed Bazoum se confiait sur un pilier clef de son action politique. Nous publions aujourd’hui son dernier entretien avant le putsch.

Le Président Mohamed Bazoum du Niger est pris en otage depuis plus de deux semaines par la garde présidentielle. Avant ces événements, il avait consacré à l’éducation une proportion conséquente du budget national. C’est à ce sujet qu’il s’était entretenu avec Eleanor Legge-Bourke, quelques jours avant les événements du 26 juillet.

Le « modèle Bazoum » de développement et de coopération s’appuyant sur ce pilier — qui touche aussi, bien qu’indirectement, à la dimension sécuritaire — il nous a semblé urgent et opportun de livrer ce témoignage, alors que le sort de Mohamed Bazoum — et de l’avenir du Niger — est pour l’instant très incertain.

En effet, depuis le putsch du 26 juillet dernier, le Sahel est plongé dans un interrègne. Pour en saisir le grand contexte, nous avons essayé, tout au long de l’été, de fournir des clefs d’interprétation — à retrouver dans notre dossier « Le Niger en crise ».

Vous parlez souvent de l’importance de développer le système éducatif au Niger afin d’offrir plus d’opportunités à la jeunesse tout en atténuant la croissance démographique. Quels sont les programmes mis en place pour améliorer le système éducatif ?

Nous sommes un pays qui connaît une croissance démographique très élevée. La moitié de notre population a moins de 15 ans, et le taux de fécondité est de 3,5 par femme. C’est le symptôme de la déficience du système éducatif. C’est très clair, c’est bien connu. C’est aussi la cause de la grande pauvreté du fait des stress hydriques et de nos endettements successifs. Le risque auquel nous sommes exposés, c’est que cette croissance démographique accroisse à son tour la pauvreté et nous serions dans un engrenage qui ne peut générer que des situations d’instabilité et de conflictualité du fait du manque de ressources générales. Au demeurant, la violence actuelle portée par les mouvements terroristes qui sont dans cette zone du Sahel, est aussi symptomatique de cette pauvreté dont je parle, générée par la croissance démographique. Pour régler ce problème à sa racine, il faut promouvoir le système éducatif. Car l’éducation a des conséquences directes, à moyen terme, sur la culture familiale, la composition démographique et la natalité. Une certaine éducation familiale, sociale, sexuelle, économique est nécessaire dans les parcours que nous désirons introduire pour impacter les mœurs et la culture sociétale et familiale au Niger.

Nous avons décidé deux choses : d’abord de rehausser le niveau à partir duquel nous formons nos enseignants. (...)

L’autre aspect de notre réforme, c’est que nous avons fait le constat selon lequel quand une fille va à l’école sans disposer de conditions qui lui offrent les commodités indispensables pour que ses parents soient confiants et qu’ils la laissent continuer son cursus scolaire, elle risque d’abandonner au plus vite sa scolarité. L’abandon scolaire est corrélé à un certain climat scolaire de confiance, de sécurisation des enfants et des adolescentes. (...)

À quels partenariats avez-vous recours dans le domaine de l’éducation et de quelle manière la coopération de développement peut-elle mieux aider — que ce soit sur l’axe Nord-Sud, ou sur l’axe Sud-Sud ?

Nos partenariats sont multilatéraux et bilatéraux ; ainsi, par exemple, dans le cadre multilatéral, les Sommets de l’Unesco à Paris en mai 2022 et celui de l’ONU à New-York en septembre 2022, ont permis des levées de fonds conséquentes ; notamment avec la BADEA qui a financé cent internats au Niger. Le Plan de Développement Économique et Social (PDES) a convaincu les partenaires de l’Union entre autres (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie) de la viabilité budgétaire et financière de notre programme éducatif et de nos ambitions dans le domaine de l’inclusion scolaire. Cela a entraîné une visibilité du Niger tant au niveau mondial (GPE) qu’au niveau régional et sous-régional. (...)

La FAO, et le PAM, sont des organisations internationales très présentes dans le cadre du soutien logistique de nos politiques éducatives (...)

J’ai mentionné le fait qu’il nous fallait plus de moyens et d’aides financières à mesure que la globalisation s’étend sur tout le continent africain et que nous payons directement les prix lourds des politiques d’endettement, des choix énergétiques des pays du Nord, et les inégalités dans les organes représentatifs internationaux qui décident pourtant de notre présent et de notre avenir. Il y a là des inégalités et des illogismes auxquels il faut remédier au plus tôt si on ne veut pas déséquilibrer l’ordre mondial, accentuer les processus de migrations sauvages, et appauvrir davantage le Sud.

Il ne s’agit pas d’aide au développement uniquement, mais de lucidité dans l’action politique en faveur de l’avenir d’une politique mondiale du bien-être, de la santé, des droits de l’Enfant et donc d’une harmonie ; car notre Terre est une, l’Humanité est une, et malgré nos diversités et nos contradictions souvent complémentaires et bien utiles pour arrêter les démesures liées à l’expansion financière spéculative, nous avons, sud et nord confondus, des biens communs à protéger : les qualités de vie, de l’air, de l’eau, de la terre et la maîtrise des énergies durables. C’est pour cela que nous sollicitons une synergie dans les financements multilatéraux et des droits d’expression et de focus dans les orientations budgétaires de nos partenaires. (...)

Il faut ajouter à cela qu’une stratégie d’aide au développement dans le secteur éducatif est préférable à des vastes programmes d’actions et de soutiens budgétaires faits souvent par des personnes et des institutions coupées de la réalité concrète que vivent nos populations rurales. (...)

Je pense que l’Afrique, et le Niger en particulier, doit cesser d’être une machine à fabriquer de la dette et à assurer un déséquilibre au prétexte de son développement. Ces paradigmes ne fonctionnent plus. On le voit avec l’entrée d’autres partenaires dans les aides financières, notamment la Chine, l’Inde, les pays du Moyen-Orient, qui bouleversent positivement les paysages sociétaux et les réalités socio-économiques de l’Afrique de l’Ouest et du Niger en particulier. (...)

Le Niger compte sur de nombreux partenaires. Quelles serait le modèle de coopération idéal selon vous ?

Un modèle de coopération juste et rationnel, autant que vrai et authentique, serait un modèle où le partenariat serait éthique et équitable : l’aide ne serait pas une forme de chantage économique et ne cacherait pas des contrats sibyllins enfonçant davantage l’aidé et qui serait de ce fait tout particulièrement favorable à l’aidant. La coopération signifie étymologiquement le fait de travailler ensemble, donc d’être au même niveau d’informations et d’intentions, avec le même horizon de valeurs et de bienveillance, que ceux qui caractérisent des personnes responsables malgré les écarts, les fortes hétérogénéités d’autonomie et de souveraineté entre les pays coopérants ou coopératifs. Trop souvent la misère et la pauvreté signifiaient le droit à s’exprimer davantage ou à parler ou peser plus dans les négociations internationales. (...)

Il nous faut parler de stratégie et non plus de programme pour réaliser nos objectifs ; de même, il nous faut davantage de concertation, de tables rondes, et que les chaises autour de la table soient en nombre suffisant pour représenter les partenaires concernés, notamment africains. Dans les organes internationaux, l’Afrique n’est pas représentée (conseil de sécurité de l’ONU, OCDE, OMS, etc.) alors qu’elle représente plus d’un tiers de l’Humanité : est-ce normal ? (...)

Aujourd’hui, lorsque le dialogue doit porter sur des phénomènes mondiaux et des solutions qui profiteront à tous, il doit être universel. Tous les pays doivent être engagés, sur un pied d’égalité, et tous doivent contribuer à payer les coûts, en fonction de leurs capacités. (...)

La décolonisation aurait dû favoriser l’inclusion et la participation des pays en développement au processus décisionnel mondial, mais cela n’a pas souvent été le cas. (...)

Aujourd’hui, les organisations multilatérales ne peuvent plus ignorer les puissantes transformations qui se produisent dans le Sud. Outre les conséquences de la décolonisation et de la chute du rideau de fer, le monde connaît un changement global de la géographie économique. Le cadre multilatéral doit s’ouvrir à de nouveaux pays et à de nouveaux partenaires. (...)

La démocratisation des institutions de décisions internationales est un préalable à une coopération juste, équitable, authentique et éthique. Il faut bien comprendre que nous avons eu une intelligence politique et des savoirs qui dépassent le cadre strict de l’économie comptable et financière qui a amené ce monde aux crises graves que nous connaissons actuellement. Notre sagesse et nos épreuves nous ont aguerris et nous pouvons être de bon conseil pour le bon fonctionnement du monde et pour les relations Nord-Sud. Le Niger peut être un pays expert, de bon conseil pour les États de bonne volonté en ce qui concerne la bonne gouvernance et l’équité dans les entraides intercontinentales.