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Il faut considérer avec pragmatisme la candidature de Jean-Luc Mélenchon
/électeur de gauche
Article mis en ligne le 15 janvier 2022

Accepter que la candidature de Jean-Luc Mélenchon soit la mieux placée pour amener la gauche au second tour permettrait d’accélérer les funérailles du vieux monde. Les électeurs et les militants des partis de gauche peuvent aujourd’hui faire un choix pragmatique, que leurs représentants n’ont pas su (ou pas pu) faire, en vue de mieux se projeter collectivement dans l’avenir.

(...) mon vote sera, au jour de l’élection, réduit à un bulletin, comme les autres. Ce dernier portera un vote, que je qualifie d’utile, pour Jean-Luc Mélenchon. Utile, ici, n’est pourtant pour moi pas synonyme du « vote utile » que j’ai accordé à François Hollande, en 2012. Je tiens dans cette lettre, écrite du point de vue d’un électeur de gauche ayant à choisir pour qui déposer son bulletin dans l’urne, à exposer les raisons de cette différence, et à proposer des arguments en faveur de la position suivante : au jour du premier tour, il n’y aura pas de meilleur choix pour les électeurs de gauche désireux de ne pas se condamner à vivre cinq ans de plus de néo-libéralisme/conservatisme autoritaire sans possibilité d’exister publiquement.

Si l’on souhaite participer à enclencher une véritable transformation du champ politique à gauche, il nous faut voter pour le candidat de rupture le mieux placé dans les sondages. Pour l’instant, ce candidat est Jean-Luc Mélenchon, et il y a tout à parier qu’il le demeure, sauf accident. La survenue au second tour -quitte à le perdre- d’une gauche de rupture avec le capitalisme néo-libéral, serait utile, en ceci qu’elle constituerait un évènement sans précédent qui, à coup sûr, marquerait l’histoire politique de la gauche et contribuerait à rebattre les cartes du jeu politique.

(...) Le « peuple de gauche », prêt à voter pour un candidat en rupture avec le macronisme, est aujourd’hui réduit, selon les sondages, à environ 25-30% de l’électorat. L’enjeu aujourd’hui est de comprendre comment exister, politiquement, malgré la relégation de « la gauche » dans la représentation politique (municipale, départementale, régionale, nationale). Pour cela, il faut réinventer nos actions et notre présence politiques dans le monde « extra-parlementaire ». Ce saut est nécessaire à l’affirmation d’un mouvement unitaire à gauche fondé sur une dynamique complémentaire entre groupes sociaux engagés dans la « transition » (sociale, écologique, etc) et groupes sociaux engagés dans la « révolution ». Cette complémentarité n’est pas simplement la reproduction du pôle révolutionnaire/réformiste du début du XXe siècle, même si elle en emprunte certains traits.

Le monde de la "transition" sociale et écologique doit, pour exister de façon autonome relativement aux solutions des faussaires de l’écologie et du social, affirmer le sérieux et la préséance dans le débat à gauche de l’éthique révolutionnaire. La "révolution", en effet, n’est pas le dernier recours, mais l’impulsion et l’horizon qui doit guider les acteurs de la transition.

Ce texte est donc notamment adressé aux électeurs de gauche qui n’ont pas encore fait le choix de rompre définitivement avec les groupes et les méthodes de la « société des socialistes » (pour reprendre un titre du politologue Frédéric Sawicki) qui ont, jusque-là, définit les paramètres de la participation du peuple de gauche au gouvernement du pays (au niveau, non seulement, des institutions, mais aussi en termes d’hégémonie dite culturelle : journaux, associations, édition, « culture », etc.). Il est temps, à mon avis, de clore enfin une parenthèse historique ouverte en 1982-1983 et d’affirmer, à gauche, la préséance politique d’un horizon révolutionnaire, nourri aux trois mamelles des révolutions républicaines des XVIIIe et XIXe siècle (affirmation des droits politiques), des révolutions socialistes, planificatrices et coopérativistes du XXe siècle (exploration des possibilités alternatives au capitalisme libéral), et des mouvements sociaux contemporains critiques de la mondialisation néo-libérale (féministes, antiracistes, altermondialistes, écologistes).

La révolution s’affirme à nous aujourd’hui comme une référence du fait de la nécessité impérieuse qui nous est impartie : celle de « changer le cours de l’Histoire » face à la triple catastrophe politique (affirmation de formes de néo-fascismes), écologique (rupture de la promesse de l’abondance naturelle infinie portée par la modernité) et économique (inadéquation de nos modes de vie à nos capacités substantives réelles). S’il faut effectivement « tenter de vivre » dans ces temps difficiles, il ne faut pas se résoudre à survivre dans notre quotidien comme si, effectivement, changer l’histoire était désormais quelque chose qui ne pouvait se conjuguer qu’au passé. (...)

Ce processus est déjà engagé depuis plusieurs années, avec l’affirmation dans le champ électoral du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) et de la France Insoumise. La décomposition à venir du Parti Socialiste fut évidente dès les premières semaines de la présidence Hollande, avec l’abandon des positions tenues lors du discours du Bourget, le lâchage de la Grèce à ses tuteurs financiers, et l’ouverture, à partir de 2014-2015, de la séquence politique autoritaire que l’on connaît, avec les grandes répressions du mouvement social contre la Loi Travail et contre Nuit Debout, ou bien encore la séquence de la déchéance de nationalité. (...)

Je crois que c’est le mouvement incarné par Jean-Luc Mélenchon qui a jusqu’ici le mieux réussi à incarner cette trajectoire de « bifurcation », par la possibilité ouverte de la « révolution citoyenne ». (...)

La crise des « gilets jaunes », la gestion autoritaire de la pandémie, le maccarthysme « soft » lancé par la droite en réaction aux mouvements d’émancipation actuels, ainsi que le soutien constant de son électorat à Emmanuel Macron lors de ces événements politiques majeurs, prouve qu’il y a, effectivement, toute une partie du « bloc bourgeois » qui ne sera plus jamais en mesure de voter, à courte échéance, "à gauche". Toute tentative de reconquête de cet électorat-là devra passer par une alliance avec les représentants du bloc bourgeois-barbarisé dont les termes sont devenus inacceptables pour environ 20% du corps électoral national.

Peut-être êtes-vous nombreux, électeurs ou militants de ces partis, à attendre ou à chercher à porter un tel « droit d’inventaire » sur l’action de vos représentants et/ou de vos aînés. A cet égard, je pense que vous devriez considérer avec pragmatisme la candidature de Jean-Luc Mélenchon. La présence de la France Insoumise au second tour porterait mécaniquement les courants dissidents internes en position de force, puisqu’il sera désormais clair, aux yeux de toutes et tous, que seuls les mouvements favorables à une rupture avec le capitalisme néo-libéral seront désormais en mesure de participer à faire l’histoire électorale de la gauche. De même, les courants engagés dans la « transition » devraient accueillir avec faveur la dévaluation des faussaires de l’écologie et du social. Les courants révolutionnaires minoritaires devraient, quant à eux, voir favorablement la solidification d’un mouvement de masse perméable à leurs idées et à leurs pratiques. Il y a tout à investir dans la dynamique portée par la France Insoumise, bien au-delà d’elle-même (et y compris en la critiquant). Je dois dire avoir été notamment convaincu, cette année, par la présence d’Aurélie Trouvé dans le Parlement de l’Union Populaire. La représentante d’Attac incarne parfaitement, je crois, la façon dont les héritier.es des luttes altermondialistes doivent travailler aujourd’hui à trouver des positions de pouvoir en vue de polariser et de transformer les débats et les imaginaires. Loin de se "coucher", il faut affirmer sa différence.

Je crois que vous êtes nombreux parmi ces mouvements à nourrir de la méfiance envers la posture du leader charismatique que Jean-Luc Mélenchon s’est trouvé en mesure d’endosser à la France Insoumise. J’ai moi-même de nombreux doutes envers ce mouvement et ses représentants qui, à mes yeux, n’ont pas encore fait leur preuve au sein de leur parti, de leur capacité à réinventer l’action politique par le bas (à l’exception, peut-être, de la création du programme). La faiblesse du mandat du député Mélenchon à Marseille est un crève-cœur. J’ai aussi mes propres réactions urticaires en réaction aux sorties d’untel ou d’unetelle à la télévision ou en meeting. Je crois néanmoins que faire de ces doutes une raison pour leur refuser le vote serait, dans la situation historique actuelle, un mauvais choix. Un fait politique majeur aujourd’hui doit être de considérer avec sérieux l’éthique révolutionnaire. L’impératif de faire émerger de nouvelles manières de parler du monde et d’en débattre, nous commande, en effet, d’enterrer définitivement les solutions du passé devenues, somme toutes, irresponsables et inadéquates au monde actuel.