
Gérald Darmanin a annoncé lundi 7 août la dissolution de Civitas, à la suite de propos antisémites tenus lors de l’université d’été de l’organisation catholique. Retour sur deux décennies d’un activisme fondamentaliste qui a prospéré avec la crise du Covid.
La scène se déroule le 30 juillet dernier à Pontmain, petite commune située en Mayenne de moins de mille habitants, lieu de pèlerinage chrétien – depuis une supposée apparition de la Vierge en 1871. Et site choisi pour l’université d’été de Civitas. À la tribune, l’essayiste Pierre Hillard y prononce ces mots : « Vous avez eu un événement en septembre 1791 : la naturalisation des juifs. Avant 1789, un juif, un musulman, un bouddhiste ne pouvaient pas devenir français. Pourquoi ? Parce que c’étaient des hérétiques. La naturalisation des juifs en septembre 1791 ouvre la porte à l’immigration. » Avant de conclure : « peut-être faudrait-il retrouver la situation d’avant 1789 ». Cette déclaration, prônant ni plus ni moins la déchéance de la nationalité pour les juifs, comme le régime de Vichy s’en était rendu coupable, motive la décision de Gérald Darmanin d’engager la dissolution de Civitas. Des « propos ignominieux », a commenté le ministre de l’Intérieur – et qui, hasard de calendrier mais télescopage effrayant, interviennent quelques jours après que Dieudonné a tenu, une fois encore, des propos antisémites tout aussi insupportables.
Cela étant, rien de surprenant pour l’historienne Valérie Igounet, chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), membre de Conspiracy Watch, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite. « Les groupes tels que Civitas utilisent l’antisémitisme comme l’une des bases d’un discours complotiste totalement décomplexé. Je ne suis donc pas du tout étonnée que de tels propos aient été entendus lors de cette université d’été. Les militants de ces mouvements n’ont d’ailleurs aucun scrupule à s’afficher avec des photos du maréchal Pétain… » Fondé en 1999 sous le statut d’association, transformé en parti politique en 2016, Civitas s’inscrit dans les traces de la Cité catholique, mouvement créé après-guerre par un certain Jean Ousset, qui avait été un fervent partisan de Vichy.
Quels buts, quel poids ?
Que veut au juste Civitas ? Selon Christian Terras, directeur de la revue catholique progressiste Golias, le mouvement cherche à « rechristianiser la France et chasser l’infidèle qui blasphème […]. Ce sont des croisés contre la modernité. Ils ont la nostalgie du temps où l’Église catholique influait sur la politique intérieure, internationale, culturelle » (cité en 2012 par nos confrères de La Dépêche). Façon de contester la séparation de l’Église et de l’État, et le régime républicain lui-même (...)
Civitas s’inscrit dans une vaste toile d’araignée qui s’épanouit largement sur Internet.
Quels types d’actions ?
Comme tout groupuscule en mal d’existence politique et médiatique, Civitas est adepte du coup d’éclat, aux violences plus ou moins contrôlées. On retiendra à ce titre deux séquences emblématiques : d’abord, en 2011, quand ses militants s’en prennent à une pièce du metteur en scène italien Romeo Castelluci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, qu’ils jugent blasphématoire. Après avoir été présentée au Festival d’Avignon, la pièce se joue à Paris, au Théâtre de la Ville. Des membres de Civitas parviennent à pénétrer dans la salle, à monter sur scène et à interrompre la représentation. En chantant des cantiques ou en priant, ils agressent des spectateurs, leur jetant de l’huile de vidange ou des œufs, comme le racontent alors nos confrères du Figaro – tout en expliquant que les militants de Civitas n’ont rien compris au spectacle. Les perturbateurs écopent d’amendes. Quelques semaines plus tard, c’est au Théâtre du Rond-Point qu’on les retrouve, à l’occasion d’une autre pièce qui les contrarie – Golgota Picnic, de Rodrigo García. Le Point rapporte que le directeur de la salle, Jean-Michel Ribes, dit avoir reçu des menaces de mort.
Deuxième séquence, l’année suivante. Cette fois, ce sont les débats à propos du mariage pour tous qui donnent à Civitas l’occasion de montrer sa détermination dans la rue. (...)