
Alors qu’en milieu urbain la possibilité pour les enfants de jouer librement dans l’espace public s’amenuise, des structures d’éducation populaire relancent depuis une dizaine d’années des terrains d’aventure.
À l’ombre des arbres, au cœur du quartier prioritaire de Près d’Arènes à Montpellier, les cigales stridulent sans prêter attention aux rires et aux cris d’enfants jouant dessous. Dans ce coin de parc bordé d’une petite barrière de bois et au sol râpé, les foulées enjouées des jeunes soulèvent de petits nuages de poussière.
Çà et là, des objets hétéroclites : un chariot de supermarché, de la mousse, une planche à repasser, un déambulateur, des plots de chantier, des palettes… Mais aussi une balançoire en pneu, une slackline (sangle en nylon ou en polyester tendue entre deux arbres où l’on exerce son équilibre) et un hamac. Bienvenue dans un terrain d’aventure ! (...)
Au pied des immeubles, le lieu détonne par rapport à un centre de loisirs ou une aire de jeux. « Il répond à trois principes : il met au cœur de sa philosophie le jeu libre, il est gratuit, ouvert à toutes et tous sans condition ni inscription préalable » (...)
Cabanes et peinture
À Montpellier, le terrain ouvre pour la troisième année consécutive tous les après-midis et pour trois semaines. Ce jour-là, une trentaine d’enfants de 4 à 16 ans sont présents.
Au fil des heures, des cabanes en palettes prennent forme, des bouts de bois se colorent de peinture et les vêtements des enfants avec. (...)
Les lieux pour jouer librement, construire de bric et de broc, mettre les mains dans la terre, grimper aux arbres, sont devenus rares en ville. Selon plusieurs études, dans les pays occidentaux, les parents laissent moins leurs enfants jouer de manière aventureuse (en grimpant aux arbres par exemple) que ne l’acceptaient leurs propres parents.
Un phénomène également observé en France par le sociologue Clément Rivière dans une enquête menée auprès de 88 parents à Paris et Milan. Son étude montre qu’ils ont peur d’être perçus comme irresponsables s’ils les laissent expérimenter librement dans l’espace public.
Remonter le toboggan à l’envers (...)
C’est pourquoi les Cemea relancent des terrains d’aventures depuis une dizaine d’années. Courants dans les années 1970, ces espaces de liberté ont finalement disparu en France, contrairement aux pays du Nord de l’Europe ou en Allemagne.
Selon un décompte effectué par une équipe de recherche pluridisciplinaire baptisée Tapla (des Terrains d’aventure du passé/pour l’avenir), une quarantaine de terrains ont vu le jour en France en 2022.
Si certains sont pérennisés et ouvrent plusieurs mois dans l’année comme le Petit Bois à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) ou la Petite Plage à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), la plupart n’ouvrent qu’en période estivale et sont encore au stade de l’expérimentation. (...)
Les enfants, eux, sont ravis. « J’adore venir ici, c’est pas comme l’école ou dans le jardin de mon immeuble, ici on peut faire tout ce qu’on veut. On peut faire du bruit et si on est en colère, on a même le droit de casser des choses ! » lance Soumaia, 9 ans et demi, de la peinture jusque dans les cheveux. « S’il n’y avait pas le terrain, on passerait l’après-midi à regarder la télé », ajoute Youssra, 12 ans. (...)
une équipe de recherche canadienne a observé une augmentation des interactions sociales, de la créativité et de la résilience chez les enfants de 3 à 12 ans ayant fréquenté des terrains de jeu en plein air risqués. (...)
Tester les limites
Il n’est cependant pas à l’abri des tensions. Au fil de l’après-midi, de jeunes adultes viennent tester les limites, demandent aux plus petits de subtiliser des outils. Les animateurs, recrutés avec une solide expérience, jouent la carte du dialogue et de la désescalade.
« Aujourd’hui, nous avons autorisé certains d’entre eux à rentrer sur le terrain et à casser des palettes pour se défouler. On teste des choses », poursuit-elle. (...)
La mairie socialiste de Montpellier, première ville française à adhérer au Réseau international des villes des enfants, promue par le chercheur Francesco Tonucci, soutient l’initiative en mettant à disposition un terrain de 900 mètres carrés et une subvention de 15 000 euros.
Malgré ce soutien auquel s’ajoute celui du département de l’Hérault et du contrat de ville, le Cemea estime avoir besoin d’un budget de 76 000 euros contre 40 000 aujourd’hui. N’étant pas reconnus comme des accueils collectifs de mineurs, les terrains d’aventure entrent encore dans peu de cases administratives. Leur modèle reste donc fragile. (...)