Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mémoire des luttes
Hypermondialisation
Article mis en ligne le 18 octobre 2013
dernière modification le 14 octobre 2013

Selon l’expression des économistes Arvind Subramanian et Martin Kessler, nos sociétés entreraient dans une ère d’« hypermondialisation » [1]. Entre 1980 et 2011, le volume de marchandises échangées à l’échelle planétaire a été multiplié par quatre, le niveau du commerce mondial augmentant près de deux fois plus vite que la production mondiale chaque année [2]. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), « la valeur en dollars du commerce mondial des marchandises a augmenté de plus de 7 % par an en moyenne (…), atteignant un record de 18 000 milliards de dollars à la fin de cette période ». Pour leur part, « les échanges de services commerciaux ont augmenté encore plus rapidement, à un taux annuel moyen d’environ 8%, pour atteindre quelque 4 000 milliards de dollars » [3].

(...) La réduction des droits de douane [5], du coût des transports -notamment maritimes - et des télécommunications, l’essor des technologies facilitant la dématérialisation des échanges et des services, la mobilité du capital et des facteurs de production, ainsi que la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux ont rendu possible cette nouvelle étape de la mondialisation économique et financière. (...)

Dans ce vaste mouvement, de nouvelles tendances sont à l’œuvre. L’« hypermondialisation » ne s’évalue pas seulement quantitativement par l’augmentation du commerce international intégré, mais également qualitativement. De ce point de vue, elle correspond à une mutation profonde et non achevée des formes du système de production et d’échange à l’échelle mondiale qui impacte chaque pays et régions.

Certaines de ses manifestations les plus saillantes sont désormais régulièrement commentées par les médias et convoquées par les gouvernements pour tenter de justifier, auprès de leurs opinions publiques, la nécessité de mettre en place des politiques d’austérité (salariale et sociale) afin de gagner en compétitivité dans le cadre d’une concurrence globale acharnée. Il s’agit de la montée de la Chine, qui occupe désormais la place de première puissance commerciale avec 11 % des exportations mondiales (contre 1 % en 1980), des pays du Sud [6], des flux commerciaux Sud-Sud [7] et du développement de multiples configurations d’intégrations économiques régionales.

Cependant, d’autres dynamiques modifient, peu à peu, et plus souterrainement, les structures de la mondialisation. L’ « hypermondialisation » désigne, en effet, le nouveau stade de son développement. Elle indique, en premier lieu, une nouvelle phase de fragmentation géographique de la production et de dissociation des fonctions productives à l’échelle mondiale. Les flux commerciaux s’inscrivent désormais dans des « chaînes de valeur » internationales qui organisent les processus de production en séquences distinctes, réalisées (souvent simultanément) en différents lieux de la planète, selon des logiques d’optimisation des territoires. Et ce, en fonction de leur organisation fiscale, sociale, salariale, financière, technologique, éducative, institutionnelle, etc. (...)

Ainsi, les 80 000 multinationales recensées dans le monde [9] (assurant deux tiers du commerce international) sont les principaux maîtres d’œuvre de cette nouvelle organisation de la production. Comme l’explique la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes des Nations unies (Cepal), « les entreprises multinationales des pays développés transfèrent ou sous-traitent une partie de leurs processus de production vers des pays en développement ou en transition. Cette fragmentation géographique de la production opère par l’intermédiaire de plusieurs canaux comme l’investissement direct étranger [10], le commerce des biens intermédiaires [venant de pays différents] [11] et la sous-traitance de services [12] ». Et d’ajouter : « En termes simples, ce qui est recherché [dans un contexte de réduction des droits de douane et des coûts de transport, d’information et de télécommunication qui permet une circulation sans entraves, démultipliée, croisée et à grande vitesse de la marchandise], c’est de combiner technologie, innovation et savoir-faire des pays développés (économies de maison mère) avec les coûts réduits de la main d’œuvre des pays en développement (économies de fabrication)  » [13]. (...)

L’IPhone d’Apple ou la poupée Barbie sont les symboles de cette marchandise « Made in the World ». (...)

C’est dans ce contexte qu’émergent, depuis le début des années 2010, et encore plus depuis 2013, de nouvelles formes d’accords de libre-échange hors du cadre multilatéral de l’OMC. Il s’agit d’accords dits « méga-régionaux » ou « méga-bilatéraux » : grand marché transatlantique [14], Partenariat transpacifique [15], Partenariat économique intégral régional (qui concerne dix pays de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est – ASEAN – [16]), accord de libre-échange Union européenne-Japon (en cours de négociation), accords de libre échange entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud (idem).

Leur fonction est à la fois politique, géopolitique et économique. Il s’agit d’organiser, sur le long terme, la sécurisation des investissements et des activités - tout comme la facilitation de leurs opérations - des acteurs financiers et économiques mondialisés (...)

Ces nouvelles transformations du capitalisme renforceront les dynamiques de fusion entre les Etats concernés et les intérêts marchands et, ce faisant, la déconnexion entre la capacité d’intervention démocratique des peuples - seule à même de contrôler la puissance du capital - et celle de ce dernier à soumettre nos sociétés sous sa domination destructrice.
(...)

L’ « hypermondialisation » constituerait-elle une nouvelle étape vers la monopolisation du monde par les puissances économiques, financières et étatiques du « monde occidental » ? Cette dernière notion désignerait-t-elle, quant à elle, l’intégration des élites – d’où qu’elles viennent, du Nord ou du Sud – au sein d’une même surclasse oligarchique mondialisée ?

Quoi qu’il en soit, l’ « hypermondialisation » constitue le nouveau cadre d’affrontement objectif entre les mouvements anti-systémique de la planète – affaiblis et localisés aujourd’hui – et les forces du capitalisme financiarisé.