Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Halte à l’obsolescence ! Les vieux ordinateurs reprennent vie avec le système Emmabuntüs + pétition (l’un de ses militants actifs, d’origine guinéenne, est aujourd’hui menacé d’expulsion.)
Article mis en ligne le 28 mai 2016

L’obsolescence programmée n’est pas une fatalité. Telles est la conviction du collectif Emmabuntüs, qui remet en état de vieux ordinateurs destinés à la casse et les dote d’une distribution libre et facile d’utilisation au bénéfice des plus modestes. Très active dans les communautés Emmaüs, l’équipe envoie des machine jusqu’en Afrique. Mais l’un de ses militants actifs, d’origine guinéenne, est aujourd’hui menacé d’expulsion.

Ce jeudi 26 mai au soir, la concentration est intense dans le local du Parti communiste français du IVe arrondissement de Paris. Patrick introduit un CD d’installation d’Emmabuntüs dans l’unité centrale d’un ordinateur sous le regard d’Évelyne, Daniel, Michel et Patrick, élus et militants au PCF embarqué dans cette « install-party ». « Nous allons d’abord vérifier que tout fonctionne et qu’il y a bien compatibilité matérielle avant d’installer la distribution [un ensemble de logiciels cohérent et prêt à l’installation, NDLR] » explique-t-il. « Pas trop vite, vous êtes avec des faibles », sourit Daniel. « Des seniors ! », renchérit Évelyne en rigolant.

Emmabuntüs est une distribution Linux dérivée d’Ubuntu. Elle est libre, c’est-à-dire que ses utilisateurs ont le droit de l’utiliser, de la modifier et de la partager librement – contrairement aux distributions propriétaires comme Windows, de Microsoft, qui sont payantes et ne peuvent pas être rectifiées par les particuliers. (...)

Patrick, ingénieur en électronique, a imaginé Emmabuntüs en 2010, alors qu’il faisait du bénévolat pour Emmaüs à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis). « Je reconditionnais des ordinateurs donnés par des particuliers et des entreprises, pour qu’ils soient revendus dans la boutique Emmaüs, raconte-t-il. Toutes les machines tournaient sous Windows XP, mais nous ne voulions pas racheter la licence. Comme je m’étais mis à utiliser Ubuntu un an plus tôt, j’ai décidé de l’installer sur ces ordinateurs avec quelques logiciels supplémentaires. »

Le bénévole a plusieurs idées en tête : limiter le gaspillage et l’obsolescence programmée - cette nouvelle distribution, légère, permet de réemployer de vieux ordinateurs pas assez puissants pour supporter les dernières versions des systèmes d’exploitation propriétaires ; lutter contre la fracture numérique, grâce à des machines d’occasion vendues une cinquantaine d’euros ; et promouvoir les logiciels libres, exemples réjouissants de biens communs...

Patrick crée le collectif Emmabuntüs en mars 2011 à l’occasion du lancement de la première version. (...)

Pour Jack, il est important de rappeler qu’« Emmabuntüs n’est pas une distribution au rabais, réservée aux pauvres. Elle est simple et complète, chacun y trouve son compte : les enfants, les débutants mais aussi les profs et les graphistes. » (...)

Aujourd’hui, les communautés les plus actives sont Emmaüs Montpellier, Villers-les-Pots dans le secteur de Dijon et TriRA qui possède plusieurs boutiques à Lyon. Emmabuntüs se diffuse aussi tranquillement via Internet, puisque n’importe qui peut télécharger la distribution pour l’installer sur sa machine. « Depuis sa création, nous en sommes à 250.000 téléchargements », dit Patrick. (...)

80 % des abonnés à la page Facebook d’Emmabuntüs sont africains. Le collectif exige seulement que l’acheminement en Afrique soit pris en charge par les associations et que les machines « soient utilisées avec des logiciels libres et servent à la formation, pas au marché noir », précise Patrick. (...)

Branle-bas de combat à Emmabuntüs et dans la communauté des « libristes » montpelliérains. Leur ami guinéen Cellou Diallo, très actif dans la promotion des logiciels libres, a été traduit mercredi 26 mai devant le tribunal administratif de Montpellier. Actuellement détenu au centre de rétention administrative de Sète, il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et risque d’être embarqué dans le prochain vol pour la Guinée.

Arrivé en France en 2011 pour un stage à l’Ifremer de Sète, ce géomaticien de 36 ans se consacre d’abord à Voiles de Neptunes, une association d’éducation à l’environnement dédiée au milieu marin. Il rejoint le mouvement de cartographie libre Open Street Map en 2012 et participe à de nombreuses « carto-parties » sur l’accessibilité des magasins montpelliérains. Lors de ces sorties, il visite les magasins, identifie ceux qui sont accueillants pour les personnes à mobilité réduite et les indique sur les cartes d’Open Street Map. « Après trois ans de travail, nous avons recensé et cartographié les lieux accessibles sur 90 % du territoire », raconte-t-il fièrement à Reporterre, dans le brouhaha du centre de rétention, grâce au téléphone fourni par ses amis, . Au plus fort de l’épidémie d’Ebola, il avait cartographié les zones infectées, les infrastructures et les lieux de soins de sa Guinée natale, pour faciliter le travail des médecins humanitaires.

Le libriste s’investit aussi dans la communauté du système de gestion de contenus libre Drupal, et crée avec un ami le système de construction d’applications web Symfony. Il prend part au collectif Emmabuntüs en s’impliquant dans le reconditionnement et la vente dans la communauté Emmaüs de Montpellier. « Il est très impliqué, très compétent », admire son ami Pascal Arnoux, de Montpel’Libre.

Retourner en Guinée ? « J’étais militant dans l’opposition, je crains pour ma sécurité si je rentre, souffle M. Diallo. Et puis ce serait tellement dommage de tout quitter comme ça... » Sans compter que ses proches sont désormais en France. (...)
Une vingtaine de proches, libristes, entrepreneurs du numérique et élus, ont assisté à l’audience. Ils ont immédiatement créé un comité de soutien et lancé une pétition réclamant son maintien en France. (...)