
Ce qui suit est une interview d’un résident de Seattle qui était dans la rue lors du récent soulèvement et qui a vu la police, la National Guard et les réactionnaires attaquer des manifestant·e·s dans le quartier de Capitol Hill à Seattle. Après plus d’une semaine d’émeutes intenses et d’affrontements avec les autorités, la police a évacué le commissariat Est, et une zone autonome (CHAZ pour Capitol Hill Autonomous Zone) a vu le jour autour du bâtiment vide.
D’une manière générale, que s’est-il passé à Seattle depuis que d’intenses émeutes ont éclatées fin mai ?
Les choses ont commencé à Seattle le vendredi 29 mai, le samedi 30 étant la journée la plus intense d’émeutes et de pillages. Les jours qui ont suivi étaient sur le même ton, mais généralement concentrés autour du commissariat Est du SPD (Seattle Police Department - Département de Police de Seattle) dans le quartier de Capitol Hill. C’est là que la majorité des affrontements en soirée se sont passés.
Chaque jour, des manifestations massives ont eu lieu dans la ville tandis que les infrastructures d’organisation se sont développées le long des principaux axes commerciaux du quartier. Dans la semaine sont apparus des endroits pour se faire soigner, des tables de presse, des distributions de bouffe, de la musique, et une veillée pour les morts.
L’autre jour, la police a annoncé qu’elle rassemblait ses affaires et quittait son commissariat. Que pensez-vous de cela ?
Pour être très honnête, c’est difficile à décrypter.
Il existe de nombreuses théories sur la raison de ce départ. Certain·e·s pensent qu’ielles n’avaient plus de ressources, d’autres estiment qu’il s’agit d’une décision politiquement opportune de la part du maire. De mon point de vue, ce fut une « bonne » décision de la part de la ville. Ielles se sont fait pourrir dans la presse pour l’utilisation massive de gaz lacrymogènes de nuit pour contenir les affrontements de rue, mais la foule n’a jamais vraiment diminué.
Je suppose que les gens était prêt·e·s à prendre tout ces risques. Même lorsqu’un mec a foncé sur la foule avec sa caisse, qu’il s’est fait sortir de son véhicule, et qu’il a tiré sur quelqu’un, les gens se sont précipités depuis tout le quartier pour apporter leur soutien.
La ville pensait que tout cela serait dissuasif, ça ne l’a pas été apparement.
Une fois qu’ielles ont quitté l’enceinte, ce qui est quand même un coup porté à leur pouvoir, l’attention a été retirée de ces flics militarisé·e·s (même si ielles se cachent pas loin Cf carte).
Les autorités ont également organisé une campagne contre le potentiel « incendie criminel », et les pompiers étaient mis en état d’alerte. De mon point de vue, ça faisait partie d’un pari stratégique de la part de la ville une fois qu’ils ont réalisé que la chose qu’ils défendaient était symbolique. Ce qu’ielles n’ont peut-être pas pris en compte, c’est l’importance de la symbolique dans les révoltes. Les statues qui sont démontées partout dans le monde en sont un bon exemple.
La zone du quartier de Capitol Hill autour de laquelle les gens se rassemblent a été décrite comme une zone autonome. Pouvez-vous en parler davantage ?
L’autonomie, ça va signifier beaucoup de choses pour beaucoup de gens.
La ville n’a clairement plus le contrôle de cet espace à ce stade. Mais il est important de se rappeler qu’en raison de la pandémie, ce quartier a été presque abandonné au cours des 2 derniers mois, ce qui en fait un excellent choix d’occupation, mais aussi un espace plus facile à s’approprier.
Capitol Hill est le quartier queer historique, et à l’époque c’était le lieu où vivaient les punks, les musiciens et tous les freaks. C’est ici qu’ont eu lieu les batailles après le meurtre de Michael Brown à Ferguson en 2014/2015, celles d’Occupy en 2011/2012, ainsi que celles du mouvement anti-police de 2010/2011. Cela a toujours été « notre » quartier - mais comme dans toutes les autres villes des États-Unis, la gentrification rapide et les changements démographiques ont chassé tout le monde.
Pour l’instant, les rues sont de nouveau à nous, et avec cela vient la grande question de ce que cela signifie d’être autonome. (...)
Dans l’ensemble, il y a eu beaucoup d’émotion autour de ces pâtés de maisons. Tant de joie et tant de colère, alors que les gens se réunissaient physiquement pour la première fois depuis des mois en raison de la pandémie de Covid-19. Il y a eu des concerts tous les soirs par ces musiciens se faisant appeler le Marshall Law Band, à moins d’un pâté de maisons de l’endroit où la police tirait des grenades lacrymogènes et de désencerclement. C’était surréaliste. (...)