
Ici, des lycéens embarqués par dizaines et amalgamés à des « bandes violentes ». Là, un manifestant dont le pied est arraché par une grenade. Ailleurs une enquête pour « association de malfaiteurs » contre des activistes antinucléaires, ou encore un délit de solidarité en « bande organisée » pour être venu en aide aux exilés. Depuis le printemps, gardes à vue et peines de prison pleuvent sur les participants aux mouvements sociaux qui agitent la France, de la Zad aux universités, de Bure à Briançon. Alors que le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb vient de réitérer des menaces à peine voilées à l’encontre des futurs manifestants, Basta ! dresse un bilan – non exhaustif – d’un trimestre de répression.
Après la manifestation unitaire de la gauche le 26 mai – qui se rêvait en « marée populaire » –, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb s’en est pris à tous les manifestants, même pacifiques, qu’il juge complices des éventuelles violences et dégradations commises en marge des rassemblements. « Si on veut garder demain le droit de manifester, qui est une liberté fondamentale, il faut que les personnes qui veulent exprimer leur opinion puissent aussi s’opposer aux casseurs et ne pas, par leur passivité, être – d’un certain point de vue – complices de ce qui se passe », a déclaré le ministre. En clair : soit les manifestants se font les auxiliaires de la police, soit ils sont complices et passables de poursuites. N’importe quel manifestant sera-t-il demain embarqué pour « complicité » ? Depuis trois mois, les arrestations, gardes à vue, mises en examen de manifestants, d’activistes, de lycéens et étudiants se multiplient.
À Bure, deux personnes encore en prison, une enquête en cours pour association de malfaiteurs (...)
Une répression qui vise l’intention plutôt que l’acte
« Depuis dix ans, la répression du mouvement social est de plus en plus importante. C’est l’effet entre autres de la loi de 2010 sur les violences de groupe, qui rappelle fort la loi anti casseur de 1970 », souligne Jean-Jacques Gandini, ancien président du syndicat des avocats de France. Cette « loi anti casseur » avait été abrogée par Mitterrand en 1981. (...)
Procès à répétition pour les personnes solidaires des réfugiés
Ils ont aidé des réfugiés à passer la frontière, ils sont poursuivis et risquent de cinq à dix ans de prison pour aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier de personnes de nationalité étrangère. Le 30 mai, Martine Landry, militante d’Amnesty International, était jugée pour avoir accompagné, en 2017, deux mineurs isolés depuis un poste frontière italien jusqu’à la frontière française. Cet acte aurait pu envoyer cette femme en prison pendant cinq ans, et lui coûter jusqu’à 30 000 euros d’amende. Le parquet a toutefois demandé la relaxe. La décision sera rendue le 13 juillet.
Martine Landry n’est pas seule à passer devant les juges pour avoir aidé des exilés. Le 31 mai, s’est tenu le procès des « trois de Briançon », trois jeunes activistes suisses et italien arrêtés le 22 avril pour avoir participé à une marche dans les Alpes, à la frontière franco-italienne, aux côtés de réfugiés. (...)
Les députés de la majorité avaient assuré avoir supprimé ce « délit de solidarité ». Il n’en est rien, ont répliqué les associations d’aides aux migrants. « Même avec les modifications apportées par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du projet de loi "asile- immigration", le "délit de solidarité" subsiste. Des poursuites injustes comme celles qui visent Martine Landry continueront d’être possibles si la loi est adoptée en ces termes », a déclaré Jean-François Dubost, d’Amnesty France. (...)
Blessés partout, justice nulle part ?
« Un autre aspect inquiétant en ce moment, c’est l’armement des forces de l’ordre, ajoute l’avocate. Nous voyons des policiers qui évacuent des universités avec dans leur chasuble des grenades et des flashballs. Normalement l’usage des armes par les forces de l’ordre doit être nécessaire et proportionné », rappelle-t-elle. Les blessés par la police se font de plus en plus nombreux depuis plusieurs mois, que ce soit dans le verdoyant bocage de Notre-Dame-des-landes ou sur les campus plus bétonnés. (...)
Après la manifestation parisienne du 1er mai, les « street medics » ont recensé trois manifestants envoyés aux urgences pour des plaies au crâne. Sans compter les fractures, les hématomes, les malaises et brûlures dus aux gaz lacrymogènes… À Notre-Dame-des-Landes, le collectif de soignants de la Zad a comptabilisé plus de 300 blessés entre le 9 avril et la mi-mai, principalement à cause des flashballs, des grenades assourdissantes et de désencerclement (voir notre article). « Les violences policières n’augmentent pas forcément, elles ont toujours été là. Mais elles sont de plus en plus impunies », observe Jean-Jaques Gandini.