
Jeudi 8 novembre, les « sept de Briançon » ont été jugés pour « aide à l’entrée irrégulière » d’étrangers, « en bande organisée ». Le procureur de Gap a requis 6 mois de prison avec sursis pour cinq d’entre eux et 12 mois, dont 4 fermes, pour les deux derniers. Ils avaient participé en avril à une manifestation de solidarité avec les migrants. Reporterre raconte l’audience.
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À 8 h 30, jeudi 8 novembre, avant que l’audience ne débute, la présidente du tribunal montre de la crispation. Isabelle Defarge s’énerve contre une journaliste qui l’aurait prise en photo. « Si je vois une seule photo du tribunal dans la presse, j’attaque pour atteinte à la vie privée », dit-elle, une fois installée à son siège. « S’il y a trop de bruit pour que l’on puisse s’entendre, je serai obligée de prononcer le huis clos », annonce-t-elle ensuite à propos de la mobilisation de soutien qui s’installe à l’extérieur pour faire de ce moment « le procès du délit de solidarité ». Au plus fort de la journée, ils seront mille manifestants, venus de Marseille, du Limousin, de Toulouse, de Grenoble, de Suisse et d’Italie… à faire entendre leurs slogans — assourdis — jusque dans la salle d’audience.(...)
La crispation de la présidente du tribunal a fait écho à celle des autorités hautes alpines. La veille du procès, les contrôles routiers de la gendarmerie ont été systématiques à la sortie du concert de soutien aux « sept de Briançon », qui a rassemblé près d’un millier de personnes à Guillestre. Les passagers des trois bus de manifestants venus de Marseille ont tous été contrôlés pendant une heure à l’entrée de Gap. La mairie a distribué un prospectus aux commerçants pour les avertir « des risques de désordre et de débordement possibles » et leur recommandant « de retirer tout support ou mobilier extérieurs pouvant servir de projectile ». Un canon à eau a été installé devant la préfecture, qui partage la même place que le tribunal. Mais toute la journée, et jusqu’à la fin de l’audience à 1 h 30 du matin, la protestation sera bon enfant.
Dans la salle d’audience, la lecture de l’acte d’accusation laisse place au visionnage des vidéos de la manifestation. « Maintenant, on va aller au cinéma », ironise la présidente pour introduire la séquence. (...)
Vient ensuite l’audition des témoins. « J’ai sauvé des tas de doigts gelés », raconte le docteur Max Duez, retraité et bénévole au Refuge solidaire de Briançon, le lieu de premier accueil mis à disposition par la communauté de commune. « J’affirme que l’action des maraudeurs ici présents a permis de limiter la casse. Moi, comme chirurgien, je n’ai sauvé la vie de personne, mais eux, oui. Ils ont sillonné la montagne dans un but salvateur », poursuit-il. « Quel rapport faites-vous entre le fait d’avoir forcé un barrage de gendarmerie avec des personnes migrantes et toutes les actions bénévoles qui consistent à sauver ? », interroge le procureur, Raphaël Balland. Pour le docteur Duez, la marche s’inscrivait dans un même esprit : « Les personnes qui ont participé à ce cortège voulaient contrebalancer l’action des identitaires, qui nous faisaient peur ».(...)
L’interrogatoire des prévenus sur le fond débute enfin peu après 17 h. L’une, Eleonora Laterza, a fait le choix de ne pas venir à son procès. Théo Buckmaster, lui, est là. Juste avant les faits qui lui sont reprochés, il se trouvait Chez Jésus, un refuge autogéré pour migrants, côté italien [1]. C’est de ce refuge qu’est partie la marche. « On avait l’impression qu’on allait se faire attaquer [par les identitaires]. Il y a eu une volonté d’exprimer un mécontentement face à la militarisation de la frontière et l’action des identitaires », dit Théo Buckmaster. « C’était une manifestation spontanée et complètement improvisée, explique ensuite Benoît Ducos. On ne voulait pas aller au col de l’Échelle afin de ne pas aller au contact des identitaires. On ne pouvait pas les laisser parader comme ça, impunément. Nous, nous n’avons pas les moyens de nous payer des hélicos ni même des doudounes bleues. Notre seule arme, c’est la manifestation ». (...)
« Les identitaires jouaient aux policiers avec la complicité des policiers. Si c’est la norme dans le pays où je suis né, alors condamnez-moi », lance Jean-Luc Jalmain. (...)
Mathiu Burellier parle quant à lui sans détour : « Pour nous, c’était le péril imminent de la peste brune qui s’installait dans nos montagnes. Ce sont [Génération identitaire] des néonazis que les flics laissent faire. Et les nazis, ils ont fait quoi ? Ils ont mis nos grands-parents dans des camps ».
« Stop, on est en France, en 2018 », l’interrompt la présidente qui, au cours des débats, a montré son intention de les recentrer « sur les faits ». « Justement, quand j’entends Emmanuel Macron qui veut rendre hommage au maréchal Pétain… » rétorque Mathieu Burellier.(...)
« Vous ne les condamnerez pas, parce que vous n’avez rien qui caractérise le délit », clame Me Henri Leclerc, doyen du barreau de Paris et président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme. Il dit que les seules preuves versées au dossier sont des coupures de presse, des vidéos et un seul témoignage d’un migrant s’étant joint au cortège et dont l’identité n’est même pas clairement enregistrée. « Selon l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme, “les hommes sont libres et égaux en droit et en dignité. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité“. Ils, [ses clients], n’ont fait que ça. Les identitaires ne sont pas pour que les hommes soient libres et égaux. […] Nous sommes là à vivre dans notre paix, presque dans notre richesse, ils [les migrants] frappent à notre porte. Faudrait-il qu’on les renvoie dans des endroits où ils crèvent ? » Il est 1 h 30 du matin, et c’est par cette plaidoirie que Me Leclerc clot les débats. La décision des trois juges est mise en délibéré. Elle sera rendue 13 décembre.