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Reporterre
François Ruffin : « La crise climatique nous impose de revoir le sens de l’existence »
Article mis en ligne le 24 novembre 2019
dernière modification le 23 novembre 2019

« Le monde des dominants est usé », les révoltes françaises montrent « un désir d’autre chose », dit François Ruffin. Dans cet entretien, le député Insoumis se veut « optimiste » malgré la mondialisation destructrice et la crise climatique, qui « devient une chance qui nous impose de revoir le sens de l’existence ».

Reporterre — Comment êtes-vous venu à l’écologie ?

François Ruffin – Je n’ai pas le sentiment d’y être venu. Quand j’étais adolescent, l’un de mes combats fondateurs a été les poules en batterie. J’étais très hostile aux cages et j’ai donné pendant des années à l’association pour la protection mondiale des animaux de ferme. J’ai été végétarien vers mes 17, 18 ans, notamment pour une raison éthique : on ne doit pas faire cela aux animaux.

Était-ce en lien avec le territoire dans lequel vous avez grandi ?

C’était tout seul dans mon coin. J’ai été très tôt très hostile au consumérisme, dès le collège. Mon père est cadre, mais ses parents appartenaient à la « lumpen-paysannerie ». Comme il avait réussi, il m’a mis dans l’univers bourgeois du collège de La Providence, à Amiens. J’y ai vécu un choc social, un grand fossé… J’étais entouré de gens qui faisaient leur première communion pour avoir une montre en or et qui faisaient la liste des gros cadeaux offerts à Noël, dans l’univers des marques Chevignon, Naf Naf. J’étais en rupture contre cela, je revendiquais de ne pas avoir de vêtements de marque. Et même de dire aux autres : « Je vous emmerde, je suis communiste. » On était en sixième, je ne savais pas ce qu’était le communisme !

(...)

Ma détestation du consumérisme s’est traduite ensuite par une détestation de la publicité avec un ouvrage qui a été pour moi important, Le bonheur conforme [1] de François Brune, qui est une critique de l’univers publicitaire. Il a un fond humaniste plus qu’écologique (...)

Comment en êtes-vous venu ensuite au journalisme ?

J’étais un être en révolte qui pensait qu’il faut changer la société, mais qu’on ne peut pas la changer sans changer le regard sur la société. Pour cela, il faut changer ce qu’on met dans la tête. C’est le raisonnement politique que je faisais à l’époque et qui correspondait à un souhait personnel, à un besoin d’intervention sur la scène publique. J’ai besoin d’une forme d’expression, « exprimer » est un verbe important pour moi. (...)

J’ai vécu des années de déprime parce que je n’avais pas de terrain pour me valoriser, je n’avais pas d’estime de moi. Je n’avais pas songé à devenir journaliste parce que c’était un univers qui m’était interdit socialement. Faire une grande école me paraissait impensable. Et puis, avec Fakir, je me suis dit que c’était possible, j’ai fait un stage à Libération, et là, on m’a dit de faire une école de journalisme. Donc, j’ai fait une école de journalisme. Mais je ne m’y épanouissais pas. Ce que je lui reprochais, ce n’est pas de nous avoir formé au modèle LCI, Le Parisien, France Info, dans l’obsession de l’actualité, mais de ne nous avoir formé qu’à ça sans montrer que d’autres journalismes existent. Heureusement, depuis, grâce à Internet, l’univers médiatique a éclaté et les expériences dissidentes sont davantage possibles qu’hier.

(...)

Quel était l’objectif de Fakir ?

J’étais comme un prophète habité par un désir de Vérité. Avec la majuscule. Mon objectif était simple : détruire le Journal des Amiénois, l’hebdomadaire municipal distribué dans toutes les boîtes aux lettres. Il était un tissu de mensonges, au moins par omission. Par exemple, au moment où l’usine Yoplait ferme, plongeant 80 familles dans le désarroi, il n’y avait pas une ligne dans Le Journal des Amiénois, qui titrait « Amiens, un carnaval fou et gratuit ».

Après, le terrain a pris chair, les histoires, les hommes, la tendresse. Et est venue l’interrogation pour savoir comment transformer la société. Ce n’est pas une pâte que l’on modèle facilement. Si on veut transformer la société, il faut faire du chemin avec les gens, les stimuler, leur redonner un espoir.

(...)

Et après, vous avez trouvé votre équilibre.

L’équilibre, c’est peut-être beaucoup dire. L’équilibre d’un funambule. Il y eu la radio avec Là-bas si j’y suis [2] de Daniel Mermet, Le Monde diplomatique, des livres… Et puis le film, parce qu’aujourd’hui, le média populaire c’est l’image. Merci, Patron ! est sorti en 2016 et est devenu populaire, mais il rendait visible un travail qui était déjà là.
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