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le Point
Francis Hallé : « Nos forêts françaises sont d’une pauvreté désespérante »
#arbres #forêts #biodiversité #ecosysteme
Article mis en ligne le 13 février 2023

Dans le monde, 80 % des forêts primaires ont disparu, remplacées par des terres agricoles, des plantations, des forêts secondaires ou des villes. Il faut entre sept cents et mille ans pour reconstituer l’écosystème forestier, à condition de le laisser intact, c’est-à-dire sans l’exploiter, l’entretenir ou l’aménager en retirant, par exemple, les bois morts ou en la fragmentant avec des routes.

Le botaniste Francis Hallé, grand spécialiste des forêts tropicales et de la canopée, défend plus que jamais son projet de forêt primaire en France. Un rêve pas si fou, qui prendra des siècles mais qui s’avère, selon lui, indispensable à notre survie. (...)

Depuis la fin des années 1960, le chercheur ne cesse d’étudier les forêts primaires. Son projet associatif de forêt primaire transfrontalière en Europe de l’Ouest lui donne de l’espoir, car l’Union européenne et le gouvernement français y sont favorables. (...)

Francis Hallé : Il y a quelques années, le bruit courait que les vieux arbres ne captaient pas de CO2 et ne jouaient plus aucun rôle dans la photosynthèse, seuls les jeunes arbres étant censés épurer l’atmosphère. J’ai le sentiment que c’était une série de fake news qui arrangeait bien la filière du bois, qui représente une économie considérable. C’est logiquement absurde ! Il faut se réjouir que cette nouvelle étude sur la forêt de feuillus de Wytham vienne confirmer le rôle majeur des arbres anciens dans le stockage du carbone. (...)

On n’a pas encore trouvé mieux que le bois pour fabriquer du papier et, comme on abandonne peu à peu le plastique, le mouvement va continuer. L’important, c’est le choix des arbres. Si des eucalyptus sont abattus en Australie, c’est grave car ils sont endémiques… En revanche, pas de souci d’exploiter ceux qui poussent de manière invasive et exponentielle, par exemple dans le nord de l’Espagne.

La forêt amazonienne perd 18 arbres par seconde, elle est dégradée par l’activité humaine et la sécheresse. Les incendies de 2022 ont d’ailleurs accéléré encore le phénomène. Comment réagissez-vous ?

La situation est dramatique. Je voyage dans les forêts tropicales du monde entier depuis les années 1960 et je les vois menacées chaque année davantage. Ce qui me rassure, c’est que le grand public en prend enfin conscience, notamment depuis la pandémie de Covid-19. L’Amazonie a encore des forêts primaires, alors que nous, plus du tout. (...)

Qu’est-ce qu’une forêt primaire et pourquoi est-elle si importante pour la planète ?

C’est une forêt intacte, espace de nature libre croissant de manière autonome, développant et renouvelant sa flore et sa faune, sans intervention humaine. Cette forêt assure la survie de la biodiversité animale et végétale : la densité de la faune est impressionnante. Au Gabon, au sud du Cameroun, en Centrafrique, en Guyane, quand vous voyez un insecte sur une feuille, il y en a aussi en dessous. Cette forêt crée la pluie : car les arbres ont des pivots verticaux qui envoient l’eau pure dans les nappes phréatiques. L’essentiel est dans le sol : un arbre qui tombe et qui pourrit par terre va régénérer la biodiversité. Mais on ne connaît que 10 % de la biodiversité tropicale, alors comment la protéger en l’étudiant si peu ? (...)

Nos forêts françaises sont des forêts secondaires, d’une pauvreté désespérante. Nous avons éliminé les prédateurs pour confier la régulation de la faune aux chasseurs : voilà où en sont nos politiques en matière d’écologie ! On enseigne encore dans les écoles forestières qu’une forêt non exploitée va s’étouffer et mourir. C’est symptomatique de la priorité au rendement financier, alors toute occasion est bonne pour abattre un arbre. (...)

En 2018, en revenant des tropiques, j’ai nourri ce rêve un peu fou, qui pourrait devenir réalité, je suis optimiste : faire revivre une forêt primaire. En partant d’une jeune forêt secondaire, soit dans les Vosges (à la frontière de la Rhénanie-Palatinat en Allemagne), soit dans les Ardennes (à la frontière belge), nous avons trouvé des superficies intéressantes. Environ 70 000 ha. Les arbres actuels, les arbres pionniers, vont mourir, ils seront remplacés par des arbres post-pionniers. La troisième vague sera la forêt primaire, il lui faudra encore quelques siècles pour grandir (...)

Les Wallons sont ouverts au projet, l’Union européenne s’en est également emparée. Et le gouvernement français ?

Nous avons déjà des soutiens actifs, et les conseillers à l’écologie d’Emmanuel Macron sont en relation avec les élus de la région Grand Est. C’est sûr, le projet n’est pas dans le temps politique ! Des siècles, vous imaginez… Et c’est tout nouveau également du point de vue juridique. Il y a une réflexion à mener sur la protection d’un tel espace. Devrons-nous l’inscrire dans la Constitution ?